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lorely.

lexandre Dumas, les Reisebilder de Henri Heine, les Tournées flamandes de Royer et de Roger de Beauvoir, appartiennent tous à une façon particulière et fantastique de voir et de sentir, dont l’expression paraît avoir un grand attrait pour le public. Il est tels poètes aussi, qui, sans sortir de Paris, devinent complétement la couleur et l’effet des régions étrangères, et qui ne trouvent plus rien à dire quand la réalité succède à cette sorte de mirage intellectuel et magique. Tels sont, par exemple, Balzac, Janin, de Musset et Eugène Sue, et je me fierais plus volontiers à de pareils voyageurs d’imagination et d’intention qu’à bien d’autres qui ont traîné leurs semelles sur tous les chemins des deux mondes. On pourrait leur appliquer la magnifique pensée d’un sonnet de Schiller sur Christophe Colomb. « Va devant toi, et, si ce monde que tu cherches n’a pas été créé encore, il jaillira des ondes exprès pour justifier ton audace ; car il existe un Éternel entre la nature et le génie, qui fait que l’une tient toujours ce que l’autre promet. » N’allez pas croire maintenant que toutes ces généralités tendent à fournir une préface à unes impressions personnelles. Je pensais plutôt, en les écrivant, au travail que prépare en ce moment mon illustre compagnon de voyage[1], qui s’est déjà acquis en Allemagne, comme voyageur, la popularité de Pierre Schlemild. Je dis mon compagnon de voyage sans savoir encore seulement si je le rejoindrai ailleurs qu’au bout du monde, ou, pour mieux dire, à Paris. Jusqu’ici, nous avançons parallèlement vers l’Allemagne, à cinquante lieues l’un de l’autre, et les journaux seulement des villes qu’il traverse m’apportent tous les matins de ses nouvelles ; pour moi qui ne jouis pas du même privilège de célébrité, j’ai besoin de ces lignes pour lui faire savoir des miennes, et je n’aurais, d’ailleurs, à écrire aujourd’hui qu’une causerie de route seulement, et tout au plus, ensuite, une chronique des eaux de Bade, comme celles d’Aix ou de Bagnères, points cardinaux où l’on rencontrerait la plus grande partie de

  1. Alexandre Dumas.