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LORELY.

l’antiquité, pour ainsi dire, et jamais il ne s’est permis de blasphème contre les vieux dieux du vieil Olympe ; au contraire, il les glorifiait en mainte circonstance, les reconnaissait tout haut pour les vrais dieux, et disant son meâ culpâ de toutes ses hérésies poétiques. Car, en même temps qu’il célébrait Homère et Virgile, comme on raconte ses visions dans la nuit, comme on raconte un beau songe d’été, il allait tout droit à Shakspeare, à Gœthe surtout ; si bien qu’un beau matin, en se frottant les yeux, il découvrit qu’il savait la langue allemande dans tous ses mystères, et qu’il lisait couramment le drame du docteur Faust. Vous jugez de son étonnement et du nôtre. Il s’était couché la veille presque Athénien, il se relevait le lendemain un Allemand de la vieille roche. Il acceptait non-seulement le premier, mais encore le second Faust ; et cependant, nous autres, nous lui disions que c’était bien assez du premier. Bien plus, il a traduit les deux Faust, il les a commentés ; il les a expliqués à sa manière ; il voulait en faire un livre classique, disait-il. Souvent il s’arrêtait en pleine campagne, prêtant l’oreille, et, dans ces lointains lumineux que, lui seul, il pouvait découvrir, vous eussiez dit qu’il allait dominer tous les bruits, tous les murmures, toutes les imprécations, toutes les prières venus à travers les bouillonnements du fleuve, de l’autre côté du Rhin.

» Si jeune encore, comme vous voyez, il avait en toutes les fantaisies, il avait obéi à tous les caprices. Vous lui pouviez appliquer toutes les douces et folles histoires qui se passent, dit-on, dans l’atelier et dans la mansarde, tous les joyeux petits drames du grenier où l’on est si bien à vingt ans, et encore c’eût été vous tenir un peu en deçà de la vérité. Pas un jeune homme, plus que lui, n’a été facile à se lier avec ce qui était jeune, beau et poétique ; l’amitié lui poussait comme à d’autres l’amour, par folles bouffées ; il s’enivrait du génie de ses amis comme on s’enivre de la beauté de sa maîtresse ! Silence ! ne l’interrogez pas ! où va-t-il ? Dieu le sait. À quoi ? que veut-il ? quelle est la grande idée qui l’occupe à cette heure ? Respectez