Page:Nerval - Voyage en Orient, II, Lévy, 1884.djvu/423

Cette page a été validée par deux contributeurs.
411
DE PARIS À CYTHÈRE.

terait ici la classe des grisettes. La valse est aussi énergique, aussi folle que dans les tavernes, et le nuage de tabac qu’elle agite n’est guère moins épais.

Au Sperl aussi, l’on dîne ou l’on soupe toujours au milieu des danses et de la musique, et le galop serpente autour des tables sans inquiéter les dîneurs. Le premier aspect du Sperl m’a rappelé un peu celui des musicos de Hollande ; j’aime à croire, toutefois, que les danseuses appartiennent en général à une condition plus respectable que celles dont les aïeules ont fourni tant de modèles à Rubens.

Ces dernières, par exemple, ne seraient point souffertes par le gouvernement paternel de l’Autriche. Les étrangers présomptueux assurent que ce système est loin d’avoir amélioré les mœurs, et chacun d’eux, pour peu qu’il ait passé seulement un hiver à Vienne, vous énumérera tout au moins les deux cent et trente conquêtes qui forment le contingent de l’Allemagne sur la liste de don Juan. Mais ce sont des exagérations auxquelles a pu donner lieu la facilité des Viennoises à entrer en conversation avec les cavaliers qui se placent près d’elles, dans les spectacles ou dans les bals. Si l’on te dit aussi que les grandes dames sont toujours un peu du xviiie siècle dans ce pays, où le xixe siècle n’a pas encore commencé, ne crois pas tous les récits de nos modernes Casanovas ; mais songe aussi que le nombre des femmes belles est si grand dans toute l’Autriche, que la plupart deviennent moins fières en raison de ce qu’elles sont moins appréciées.

La beauté des femmes est encore une chose qui saisit l’étranger d’étonnement en passant à Lintz, la première ville d’Autriche du côté de la Bavière. J’arrivai un dimanche, et je vis les femmes de la campagne qui se rendaient aux églises ; elles portaient presque toutes le costume national : des jupons de couleur éclatante, des corsets brodés, des colliers et de grands bonnets de drap d’or, à ravir un directeur de théâtre. Ces femmes étaient en général d’une éclatante beauté ; les livres de voyages ne manquent pas d’en prévenir les voya-