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DE PARIS À CYTHÈRE.

secrétaire. « Je comptais partir justement ce soir. — Quelle route prenez-vous ? — Par Trèves et par Francfort. — Eh bien, vous irez porter ce paquet à Vienne. Cela vous détournera un peu, » a dit le ministre avec bonté ; « mais vous étudierez l’Allemagne en passant, c’est utile… Vous avez une chaise de poste ? — Oui, monsieur le ministre. — Il vous faut six jours. — Six jours et demi peut-être, à cause des inondations, a observé le secrétaire. — Enfin, c’est aujourd’hui jeudi, M. de N*** arrivera jeudi prochain. » Telles furent les dernières paroles du ministre, et je partis le même soir.

 » Vous jugez de ma joie, mon cher oncle, en me voyant chargé d’un message d’État ! Et quel bon conseil vous m’aviez donné d’acheter cette chaise de poste, que ma tante a trouvée si chère ! « Un attaché sans chaise de poste, » m’avez-vous dit, « c’est un… (je crois que vous avez employé cette comparaison) c’est un colimaçon sans coquille. » L’image me semble fort juste, à part la rapidité, qui n’est nullement dévolue à l’animal cité par vous.

 » J’aime à plaisanter, j’ai même fait bien des folies de jeunesse ; mais je songe sérieusement à ma carrière, je me préoccupe de mon avenir, suivant en cela vos bons avis ; tous les jeunes gens ne pensent pas de même, malheureusement. Qui croyez-vous que je rencontre à Munich à la table d’hôte de l’hôtel d’Angleterre ?… Je m’entends appeler d’un bout à l’autre de la table, je me détourne, je crois me tromper… Point du tout : c’était mon cousin Fritz, parti de Paris huit jours avant moi, et parti pour aller vous voir dans votre terre du Périgord.

 » Vous comprenez, mon oncle, que l’idée n’était pas venue de lui, mais de son père, lequel imagine toujours que je vous fais la cour aux dépens de mon cousin. Dieu merci, vous savez si j’en ai dit jamais le moindre mal. Qu’il ait rejeté toute occupation sensée, ou du moins qu’il se soit livré à mille occupations frivoles ; qu’il ait dissipé tout le bien de sa mère, et le tiers de notre domaine de M*** ; qu’il ait promené par le monde