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DE PARIS À CYTHÈRE.

 » Et d’abord, puisque vous m’avez permis de vous soumettre mes observations personnelles avec toute la prudence possible, je profite d’un courrier extraordinaire pour vous envoyer cette lettre, qui ne sera point lue à la poste, ainsi que peuvent l’être celles que je vous adresserai par la voie ordinaire dans le courant de mon voyage.

 » Ne vous étonnerez-vous pas, me sachant parti pour la froide Suède, de recevoir ma lettre datée de Vienne, capitale de l’Autriche ? J’en suis moi-même tout surpris encore et ne puis attribuer ce qui m’arrive qu’aux complications nouvelles qui ont surgi tout à coup dans la question d’Orient.

» Il y a justement sept jours, j’allais prendre congé de mes supérieurs afin de partir le soir même pour ma destination ; j’avais choisi la voie de terre, vu la saison avancée, et je comptais d’abord me rendre en droite ligne à Francfort, puis à Hambourg, en me reposant dans chacune de ces deux villes, n’ayant plus ensuite, comme vous le savez, qu’une courte traversée par mer de Hambourg à Stockholm. J’ai étudié cent fois la carte en attendant l’audience du ministre ; mais ce dernier en a décidé autrement. Son Excellence était, ce jour-là, visiblement préoccupée. J’ai été reçu entre deux portes après bien des difficultés. « Ah ! c’est vous, monsieur de N*** ? Votre oncle est toujours en bonne santé, n’est-ce pas ? — Oui, monsieur le ministre, mais un peu souffrant… c’est-à-dire qu’il se croit malade. — Une belle intelligence, monsieur ! Voilà de ces hommes qu’il nous faudrait encore ; de ceux dont Bonaparte avait dit : C’est une race à créer ! Et il l’a créée. Mais la voilà qui s’éteint comme le reste… » J’allais répondre que j’espérais vous succéder en tout, quand le chef du cabinet est entré : « Pas un courrier ! » a-t-il dit au ministre ; « celui qui arrive d’Espagne est malade ; les autres sont partis, ou ne sont pas arrivés. Les routes sont si mauvaises ! — Eh bien, » dit le ministre, « nous avons là M. de N*** ; donnez-lui vos lettres ; il faut bien qu’un attaché serve à quelque chose. — Pouvez-vous partir aujourd’hui ? » me dit le