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DE PARIS À CYTHÈRE.

de nos jours ; je regrette de n’en avoir pas conservé d’autre impression, car celle-là est juste et vraie ; de même aussi rien n’est triste comme d’être forcé de quitter, le soir, le centre ardent et éclairé, et de traverser encore, pour regagner les faubourgs, ces longues promenades, avec leurs allées de lanternes qui s’entre-croisent jusqu’à l’horizon : les peupliers frissonnent sous un vent continuel ; on a toujours à traverser quelque rivière ou quelque canal aux eaux noires, et le son lugubre des horloges avertit seul de tous côtés qu’on est au milieu d’une ville. Mais, en atteignant les faubourgs, on se sent comme dans un autre monde, où l’on respire plus à l’aise ; c’est le séjour d’une population bonne, intelligente et joyeuse ; les rues sont à la fois calmes et animées ; si les voitures circulent encore, c’est dans la direction seulement des bals et des théâtres ; à chaque pas, ce sont des bruits de danse et de musique, ce sont des bandes de gais compagnons qui chantent des chœurs d’opéra ; les caves et les tavernes luttent d’enseignes illuminées et de transparents bizarres : ici, l’on entend des chanteuses styriennes ; là, des improvisateurs italiens ; la comédie des singes, les hercules, une première chanteuse de l’Opéra de Paris ; un Van-Amburg morave avec ses bêtes, des saltimbanques ; enfin, tout ce que nous n’avons à Paris que les jours de grandes fêtes est prodigué aux habitués des tavernes sans la moindre rétribution. Plus haut, l’affiche d’un sperl encadrée de verres de couleur, s’adresse à la fois à la haute noblesse, aux honorables militaires et à l’aimable public ; les bals masqués, les bals négligés, les bals consacrés à telle ou telle sainte, sont uniformément dirigés par Strauss ou par Lanner, le Musard et le Julien de Vienne ; c’est le goût du pays. Ces deux illustres chefs d’orchestre n’en président pas moins en même temps aux fêtes de la cour et à celles de chaque riche maison ; et, comme on les reconnaît, sans nul doute, partout où ils sont annoncés, nous les soupçonnons d’avoir fait faire des masques de cire à leur image, qu’ils distribuent à des lieutenants habiles. Mais nous parlerons plus loin de ces sperls et de ces redoutes,