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DE PARIS À CYTHÈRE.

petits vitraux plombés ; le dallage est fait en bitume de couleur, les sculptures de bois sont figurées parfaitement en pâte colorée, les flambeaux et les crucifix sont en métal anglais, se nettoyant comme de l’argent. — J’ai pu monter dans la flèche, entièrement construite en fer creux, selon les procédés modernes, et qui m’a rappelé celle de la cathédrale de Rouen, refaite par M. Alavoine. Cette dernière est un morceau dont les Rouennais sont bien fiers. On sait que l’ancienne flèche de Rouen, rivale de celles de Strasbourg et d’Anvers, avait été brûlée il y a quelques années. Le conseil municipal de Rouen décida qu’on la reconstruirait en fer creux, ce qui s’est fait. Maintenant, cette flèche durera plus que l’église elle-même ; c’est léger, économique, incombustible ; cela se démonte avec des boulons, cela peut se revendre au poids. Seulement, vu d’en bas, ce clocher est grêle et mesquin ; c’est un clocher araignée ; cela ressemble à un mât garni de ses cordages ; c’est une flèche étique, amaigrie ; cela gâte la vue de Rouen, si gâtée déjà par son pont de fer et son quai de belles maisons. — Mais revenons à Munich : ne la blâmons pas trop de ce sacrifice au progrès. En revanche, elle a toujours les deux belles tours de sa cathédrale, le seul monument ancien qu’elle possède, et qu’on aperçoit de six lieues. Au temps où fut bâti ce noble édifice, on mettait des siècles à accomplir de telles œuvres ; on les faisait de pierre dure, de marbre ou de granit ; alors aussi, on n’improvisait pas en dix ans une capitale qui semble une décoration d’opéra, prête à s’abîmer au coup de sifflet du machiniste. Que le roi-poëte me pardonne ces critiques sévères ; avant de faire des bâtisses, il faisait des livres signés de son nom royal, avec les armes de Bavière au frontispice ; il s’est donc reconnu de tout temps justiciable de la critique.

D’ailleurs, je comprends bien que l’ancien duché de Bavière, qui est passé royaume par la grâce de Napoléon, ait eu à cœur de se faire une capitale avec une ancienne petite ville mal bâtie, qui n’a pas même des pierres pour ses maçons ; mais Napoléon lui-même n’aurait pu faire que la population devint