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VOYAGE EN ORIENT.

à une salle basse, où l’on nous laissa quelque temps dans l’obscurité. Nous entendions au-dessus de nos têtes les pas précipités des soldats, puis une sorte de lutte qui nous glaça d’effroi. Il était évident que l’on forçait une porte qui nous avait protégés jusque-là, et que l’on allait arriver à notre retraite. Des officiers de la sultane descendirent précipitamment par l’escalier et levèrent, dans la salle où nous étions, une espèce de trappe, en nous disant :

» — Tout est perdu !… descendez par ici !

» Nos pieds, qui s’attendaient à trouver des marches d’escalier, manquèrent tout à coup d’appui. Nous avions fait tous les trois un plongeon dans le Bosphore… Les palais qui bordent la mer, et notamment celui de Béchik-Tasch, que vous avez pu voir sur la rive d’Europe, à un quart de lieue de la ville, sont en partie construits sur pilotis. Les salles inférieures sont parquetées de planchers de cèdre, qui couvrent immédiatement la surface de l’eau, et que l’on enlève lorsque les dames du sérail veulent s’exercer à la natation. C’est dans un de ces bains que nous nous étions plongés au milieu des ténèbres. Les trappes avaient été refermées sur nos têtes, et il était impossible de les soulever. D’ailleurs, des pas réguliers et des bruits d’armes s’entendaient encore. À peine pouvais-je, en me soutenant à la surface de l’eau, respirer de temps en temps un peu d’air. Ne voyant plus la possibilité de remonter dans le palais, je cherchais du moins à nager vers le dehors. Mais, arrivé à la limite extérieure, je trouvai partout une sorte de grille formée par les pilotis, et qui probablement servait d’ordinaire à empêcher que les femmes ne pussent, en nageant, s’échapper du palais ou se faire voir au dehors.

» Imaginez, monsieur, l’incommodité d’une telle situation : sur la tête, un plancher fermé partout, six pouces d’air au-dessous des planches, et l’eau montant peu à peu avec ce mouvement presque imperceptible de la Méditerranée qui s’élève, toutes les six heures, d’un pied ou deux. Il n’en fallait pas tant pour que je fusse assuré d’être noyé très-vite. Aussi secouais-je,