Page:Nerval - Voyage en Orient, II, Lévy, 1884.djvu/36

Cette page a été validée par deux contributeurs.
24
VOYAGE EN ORIENT.

Je coupai court à ces digressions, en priant mon interlocuteur d’en revenir à la visite des dames du sérail chez le joaillier.

— Vous comprenez que, dans ces circonstances, ces belles personnes étaient toujours accompagnées de leurs gardiens naturels, commandés par le kislar-aga. Au reste, l’aspect extérieur de ces dames n’avait de charmes que pour l’imagination, puisqu’elles étaient aussi soigneusement drapées et masquées que des dominos dans un bal de théâtre. Celle qui paraissait commander aux autres se fit montrer diverses parures, et, en ayant choisi une, se préparait à l’emporter. Je fis observer que la monture avait besoin d’être nettoyée, et qu’il manquait quelques petites pierres.

» — Eh bien, dit-elle, quand faudra-t-il l’envoyer chercher ?… J’en ai besoin pour une fête où je dois paraître devant le sultan.

» Je la saluai avec respect, et, d’une voix quelque peu tremblante, je lui fis observer qu’on ne pouvait répondre du temps exact qui serait nécessaire pour ce travail.

» — Alors, dit la dame, quand ce sera prêt, envoyez un de vos jeunes gens au palais de Béchik-Tasch.

» Puis elle jeta un regard distrait autour d’elle…

» — J’irai moi-même. Altesse, répondis-je ; car on ne pourrait confier à un esclave, ou même à un commis, une parure de cette valeur.

» — Eh bien, dit-elle, apportez-moi cela et vous en recevrez le prix.

» L’œil d’une femme est plus éloquent ici qu’ailleurs, car il est tout ce qu’on peut voir d’elle en public. Je crus démêler dans l’expression qu’avait celui de la princesse en me parlant une bienveillance particulière, que justifiaient assez ma figure et mon âge… Monsieur, je puis le dire aujourd’hui sans amour-propre, j’ai été l’un des derniers beaux hommes de l’Europe.

Il se redressa en prononçant ces paroles, et sa taille semblait