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LES NUITS DU RAMAZAN.

— Le rêve continuel de Catherine, ajouta-t-il, était de voir Constantinople. Elle parlait quelquefois de s’y rendre déguisée en bourgeoise allemande. Mais elle eût, certes, préféré y pénétrer par la conquête, et c’est pour cela qu’elle envoya en Grèce cette expédition commandée par Orlof, qui, de loin, prépara la révolution des Hellènes. La guerre de Crimée n’eut pas non plus d’autre but ; mais les Turcs se défendirent si bien, qu’elle ne put arriver qu’à la possession de cette province, garantie en dernier lieu par un traité de paix.

» Vous avez entendu parler des fêtes qui se donnèrent dans ce pays, et où plusieurs de vos gentilshommes aventuriers assistèrent. On ne parlait que français à sa cour ; on ne s’occupait que de la philosophie des encyclopédistes, de tragédies jouées à Paris et de poésie légère. Le prince de Ligne était arrivé enthousiasmé de l’Iphigénie en Tauride de Guymond de la Touche. L’impératrice lui fit aussitôt présent de la partie de l’ancienne Tauride où l’on avait cru retrouver les ruines du temple élevé par le cruel Thoas. Le prince fut très-embarrassé de ce présent de quelques lieues carrées, occupées par des cultivateurs musulmans, qui se bornaient à fumer et à boire du café tout le jour. Comme la guerre les avait rendus trop pauvres pour continuer ce passe-temps, le prince de Ligne se vit encore forcé de leur donner de l’argent afin qu’ils pussent renouveler leurs provisions. Ils se quittèrent très-bons amis.

» Ceci n’était que généreux. Orlof fut plus magnifique. Comme la contrée sablonneuse où l’on se trouvait blessait les yeux de sa souveraine, il fit apporter, de cinquante lieues, des forêts entières de sapins coupés qui, il est vrai, ne donnèrent d’ombrage que pendant le séjour de la cour impériale.

» Catherine, cependant, ne se consolait pas d’avoir perdu l’occasion de visiter la côte d’Asie. Pour occuper les loisirs du séjour en Crimée, elle pria M. de Ségur de lui enseigner à faire des vers français. Cette femme avait tous les caprices. Après s’être rendu compte des difficultés, elle s’enferma quatre heures