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VOYAGE EN ORIENT.

sur le col d’une tête coupée et fit trancher celle d’un esclave, pour justifier sa critique. Gentile Bellini conçut un tel effroi de cette expérience, qu’il se hâta de repartir pour Venise, et ne voulut jamais retourner à Constantinople, quoique le sultan l’eût redemandé à la Seigneurie de Venise par une lettre de sa main conçue dans les termes les plus flatteurs. On peut voir encore aujourd’hui, dans les archives vénitiennes, celle qu’il écrivit à l’occasion du départ de Gentile Bellini.

Les portraits ou figures que l’on peut rencontrer à Constantinople n’ont jamais été exécutés par des peintres turcs, je doute même que l’on doive à ces derniers une miniature qui se trouve en tête du Voyage au ciel, de Mahomet, et qui représente le prophète enlevé au milieu des flammes sur la célèbre jument Borak laquelle n’est autre qu’un hippogriffe à tête de femme ; quatre chérubins font partie de cette assomption et voltigent autour de l’étrange cavalier, dont le visage est caché par une langue de flamme, car il n’est pas permis, même aux Persans, de représenter les traits du prophète. Cette miniature, reproduite sur tous les manuscrits du même ouvrage, et dont un exemplaire se trouve à Paris, doit avoir été originairement l’œuvre d’un peintre persan.

Je viens de dire ce que n’est pas la peinture des Turcs ; voyons maintenant ce qu’elle est. J’en ai aperçu les premiers échantillons dans les palais de Méhémet-Ali, dont plusieurs salles offrent des panneaux peints à la colle avec un talent qui ne dépasse guère le mérite de nos tentures de salle à manger. Les sujets se divisent en trois genres : ce sont des paysages, des villes et des scènes de combat ; mais, comme il serait difficile de représenter ces dernières sans figurer les combattants, on a donné la préférence aux combats maritimes et bombardements de ville ; là, les vaisseaux semblent avoir déclaré la guerre aux maisons sans l’intervention de la race humaine ; les canons font feu, les bombes éclatent, les édifices flambent ou croulent, des flottes furieuses luttent sur les eaux, et toutes ces désolations n’ont pour témoins que d’énormes poissons, peints sur le premier plan, qui soufflent l’eau