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APPENDICE.

ture. Le tout forme un volume in-quarto relié. Mais les souverains seuls jouissent du privilège de pouvoir livrer leur image à la reproduction, sans crainte qu’on n’en abuse pour diriger contre eux des conjurations cabalistiques ; tel était le scrupule qui arrêtait beaucoup de musulmans autrefois. D’Ohsson rapporte que, vers la fin du siècle dernier, il n’existait pas deux Turcs, hors le sultan, qui eussent osé se faire peindre. Un personnage éminent, qui faisait collection de tableaux, mais de tableaux de paysage et de marine, et qui encore ne les montrait pas même à ses amis (voilà, certes, un singulier amateur !), s’était décidé à faire faire son portrait et à le joindre aux autres tableaux. Mais, se sentant vieillir, il conçut des scrupules, et se débarrassa de cette terrible image en la donnant à un Européen.

Aujourd’hui, il est encore peu de Turcs qui fassent faire d’eux-mêmes leur portrait ; mais on n’en voit aucun se refuser au désir des artistes qui veulent recueillir des physionomies ou des costumes ; ils conservent même leur pose avec la patience la plus parfaite et une sorte de vanité.

Les portraits des sultans, exécutés non-seulement dans le livre cité plus haut, mais encore sur une grande toile, en forme d’arbre généalogique, qui peut se voir dans un des bâtiments du sérail, ont été peints par des Européens, des Vénitiens pour la plupart. Tout le monde connaît l’anecdote qui se rapporte à Gentile Bellini, peintre du xve siècle, dont notre musée possède plusieurs toiles représentant des scènes de cérémonies et réceptions de la Porte Ottomane. Le sultan Mahomet II, voulant se faire peindre, demanda cet artiste à la république de Venise. Gentile Bellini se rendit à Constantinople, fit le portrait du sultan, et aussi plusieurs tableaux pour les églises chrétiennes. C’est pour une de ces dernières qu’il avait peint une magnifique Décollation de saint Jean. Le sultan voulut la voir, et se fit apporter le tableau dans le sérail. Ce fut alors qu’il engagea avec le peintre cette discussion célèbre dans les fastes de l’art, touchant la contraction que devait éprouver la peau