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VOYAGE EN ORIENT.

doyants, dont les maisons peintes et les mosquées si élégantes, avec leurs dômes d’étain et leurs minarets frêles, ne devraient inspirer que des idées de plaisir et de douce rêverie. Mais c’est qu’en ce pays la mort elle-même prend un air de fête. Le cortège grec dont j’ai parlé tout à l’heure n’avait rien de cet appareil funèbre de nos tristes enterrements. Les popes, au visage enluminé, aux habits éclatants de broderies, de jeunes ecclésiastiques venant ensuite, en longues robes de couleurs vives ; — puis leurs amis vêtus de leurs costumes les plus riches, et au milieu la morte, jeune encore, d’une pâleur de cire, mais avec du fard sur les joues, et étendue sur des fleurs, couronnée de roses, vêtue de ses plus beaux ajustements de velours et de satin, et couverte d’une grande quantité de bijoux, en diamants, qui probablement ne l’accompagnent pas dans la fosse ; tel était le spectacle, plus mélancolique que navrant, présenté par ce cortège.

La vue que l’on a du couvent des derviches tourneurs s’étend sur le petit champ des Morts, dont les allées mystérieuses, bordées d’immenses cyprès, descendent vers la mer jusqu’aux bâtiments de la marine. Un café, où viennent volontiers s’asseoir les derviches, hommes de leur nature assez gais et assez causeurs, étend en face du téké ses rangées de tables et de tabourets, où l’on boit du café en fumant le narghilé ou la chibouk. On jouit là de la vue des passants européens. Les équipages des riches Anglais et des ambassadeurs circulent souvent dans cette rue, ainsi que les voitures dorées des femmes du pays ou leurs arabas, — qui ressemblent à des charrettes de blanchisseuses, sauf les agréments qu’y ajoutent la peinture et la dorure. Les arabas sont traînés par des bœufs. Leur avantage est de contenir facilement tout un harem qui se rend à la campagne. Le mari n’accompagne jamais ses épouses dans ces promenades, qui ont lieu le plus souvent le vendredi, ce jour étant le dimanche des Turcs.

Je compris, à l’animation et à la distinction de la foule, que l’on se dirigeait vers le théâtre d’une fête quelconque, situé