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LES NUITS DU RAMAZAN.

blies pour le passage des barques. Il monta à cheval, et, arrivé sur l’autre bord, se dirigea par les sentiers qui côtoient les murs extérieurs de Galata, à travers le petit champ des Morts, ombragé de cyprès énormes, gagnant ainsi la grande rue de Péra. Les derviches l’attendaient rangés dans leur cour, où il nous fut impossible de pénétrer. C’est dans ce téké ou couvent que se trouve le tombeau du fameux comte de Bonneval, ce renégat célèbre qui fut longtemps à la tête des armées turques et lutta en Allemagne contre les armées chrétiennes. Sa femme, une Vénitienne qui l’avait suivi à Constantinople, lui servait d’aide de camp dans ses combats.

Pendant que nous étions restés arrêtés devant la porte du téké, un cortège funèbre, précédé par des prêtres grecs, montait la rue, se dirigeant vers l’extrémité du faubourg. Les gardes du sultan ordonnèrent aux prêtres de rétrograder, parce qu’il se pouvait qu’il sortît d’un moment à l’autre, et qu’il n’était pas convenable qu’il se croisât avec un enterrement. Il y eut quelques minutes d’hésitation. Enfin l’archimandrite, qui, avec sa couronne de forme impériale et ses longs vêtements byzantins brodés de clinquant, semblait fier comme Charlemagne, adressa vivement des représentations au chef de l’escorte ; puis, se retournant, l’air indigné, vers ses prêtres, il fit signe de la main qu’il fallait continuer la marche, et que, si le sultan avait à sortir dans ce moment-là, ce serait à lui d’attendre que le mort fût passé.

Je cite ce trait comme un exemple de la tolérance qui existe à Constantinople pour les différents cultes. — Il se peut aussi que la protection de la Russie ne soit pas étrangère à cette fierté des prêtres grecs.


III — LE GRAND CHAMP DES MORTS


J’éprouve quelque embarras à parler si souvent de funérailles et de cimetières, à propos de cette riante et splendide cité de Constantinople, dont les horizons mouvementés et ver-