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VOYAGE EN ORIENT.

maintenant, nous voudrions rapporter à cette source commune de l’humanité les puissances dont elle nous a doués, pour faire grande de nouveau la mère universelle.

Le beau nom de la France est cher à ces nations lointaines : c’est là notre force future ;… c’est ce qui nous permet d’attendre, quoi que fasse la dynastie usée de nos gouvernements.

On peut se dire, en citant des personnes de ces pays, ce que disait Racine dans la préface de Bajazet : « C’est si loin ! » Mais n’est-il pas permis de remercier d’un bon accueil des hôtes si empressés que le sont pour nous les Arméniens ? Plus en rapport que les Turcs avec nos idées, ils servent, pour ainsi dire, de transition à la bonne volonté de ces derniers, pour qui la France a toujours été particulièrement la nation amie.

J’avoue que ce fut pour moi un grand charme de retrouver, après une année d’absence de mon pays, un intérieur de famille tout européen, sauf les costumes des femmes, qui, heureusement pour la couleur locale, ne se rapportaient qu’aux dernières modes de Stamboul.

Madame B*** nous fit servir une collation par ses petites filles ; ensuite, nous passâmes dans la principale pièce, où se trouvaient plusieurs dames levantines. L’une d’elles se mit au piano pour exécuter un des morceaux le plus nouvellement venus de Paris : c’était une politesse que nous appréciâmes vivement en admirant des fragments d’un opéra nouveau d’Halévy.

Il y avait aussi des journaux sur les tables, des livres de poésie et de théâtre, du Victor Hugo, du Lamartine. Cela semble étrange quand on arrive de Syrie, et c’est fort simple quand on songe que Constantinople consomme presque autant que Pétersbourg les ouvrages littéraires et artistiques venus de Paris.

Pendant que nous parcourions des yeux les livres illustrés et les albums, M. B*** rentra ; il voulait nous retenir à dîner ;