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VOYAGE EN ORIENT.

reprendre ; mais la main du roi, qui respirait péniblement, se contractant par un sublime effort, se referma crispée, et Balkis s’efforça inutilement de la rouvrir.

Elle allait parler de nouveau, lorsque la tête de Soliman-Ben-Daoud se renversa en arrière, les muscles de son cou se détendirent, sa bouche s’entr’ouvrit, ses yeux à demi clos se ternirent ; son âme s’était envolée dans le pays des rêves.

Tout dormait dans le palais de Mello, hormis les serviteurs de la reine de Saba, qui avaient assoupi leurs hôtes. Au loin grondait la foudre ; le ciel noir était sillonné d’éclairs ; les vents déchaînés dispersaient la pluie sur les montagnes.

Un coursier d’Arabie, noir comme la tombe, attendait la princesse, qui donna le signal de la retraite, et bientôt le cortège, tournant le long des ravines autour de la colline de Sion, descendit dans la vallée de Josaphat. On traversa à gué le Cédron, qui déjà s’enflait des eaux pluviales pour protéger cette fuite ; et, laissant à droite le Thabor couronné d’éclairs, on parvint à l’angle du jardin des Oliviers et du chemin montueux de Béthanie.

— Suivons cette route, dit la reine à ses gardes ; nos chevaux sont agiles ; à cette heure, les tentes sont repliées, et nos gens s’acheminent déjà vers le Jourdain. Nous les retrouverons à la deuxième heure du jour au delà du lac Salé, d’où nous gagnerons les défilés des monts d’Arabie.

Et, lâchant la bride à sa monture, elle sourit à la tempête en songeant qu’elle en partageait les disgrâces avec son cher Adoniram, sans doute errant sur la route de Tyr.

Au moment où ils s’engageaient dans le sentier de Béthanie, le sillage des éclairs démasqua un groupe d’hommes qui le traversaient en silence, et qui s’arrêtèrent stupéfaits au bruit de ce cortège de spectres chevauchant dans les ténèbres.

Balkis et sa suite passèrent devant eux, et l’un des gardes, s’étant avancé pour les reconnaître, dit à voix basse à la reine :

— Ce sont trois hommes qui emportent un mort enveloppé d’un linceul.