Page:Nerval - Voyage en Orient, II, Lévy, 1884.djvu/188

Cette page a été validée par deux contributeurs.
176
VOYAGE EN ORIENT.

Autant je pourrais être fière d’être aimée de Soliman, autant je redouterais de l’épouser.

— Aimée ! s’écria le prince en se soulevant du divan où il reposait ; être aimée, vous ! jamais femme exerça-t-elle un empire plus absolu ? J’étais irrité : vous m’apaisez à votre gré ; des préoccupations sinistres me troublaient : je m’efforce à les bannir. Vous me trompez ; je le sens, et je conspire avec vous à abuser Soliman…

Balkis éleva sa coupe au-dessus de sa tête en se détournant par un mouvement voluptueux. Les deux esclaves remplirent les hanaps et se retirèrent.

La salle du festin demeura déserte ; la clarté des lampes, en s’affaiblissant, jetait de mystérieuses lueurs sur Soliman pâle, les yeux ardents, la lèvre frémissante et décolorée. Une langueur étrange s’emparait de lui : Balkis le contemplait avec un sourire équivoque.

Tout à coup il se souvint… et bondit sur sa couche.

— Femme, s’écria-t-il, n’espérez plus vous jouer de l’amour d’un roi… La nuit nous protège de ses voiles, le mystère nous environne, une flamme ardente parcourt tout mon être ; la rage et la passion m’enivrent. Cette heure m’appartient, et, si vous êtes sincère, vous ne me déroberez plus un bonheur si chèrement acheté. Régnez, soyez libre ; mais ne repoussez pas un prince qui se donne à vous, que le désir consume, et qui, dans ce moment, vous disputerait aux puissances de l’enfer.

Confuse et palpitante, Balkis répondit en baissant les yeux :

— Laissez-moi le temps de me reconnaître ; ce langage est nouveau pour moi…

— Non ! interrompit Soliman en délire, en achevant de vider la coupe où il puisait tant d’audace ; non, ma constance est à son terme. Il s’agit pour moi de la vie ou de la mort. Femme, tu seras à moi, je le jure. Si tu me trompais,… je serai vengé, si tu m’aimes, un amour éternel achètera mon pardon.

Il étendit les mains pour enlacer la jeune fille ; mais il n’embrassa qu’une ombre : la reine s’était reculée doucement, et les