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VOYAGE EN ORIENT.

son pouvoir : être aimée, tel était son rêve, Reculant l’heure d’acquitter une promesse subitement surprise, elle vous a mis à l’épreuve ; elle espérait que vous ne voudriez tenir votre victoire que de son cœur, et elle s’est trompée ; vous avez procédé par sommations, par menaces ; vous avez employé avec mes serviteurs des artifices politiques, et déjà vous êtes leur souverain plus que moi-même. J’espérais un époux, un amant ; j’en suis à redouter un maître. Vous le voyez, je parle avec sincérité.

— Si Soliman vous eût été cher, n’auriez-vous point excusé des fautes causées par l’impatience de vous appartenir ? mais non, votre pensée ne voyait en lui qu’un objet de haine, ce n’est pas pour lui que…

— Arrêtez, seigneur, et n’ajoutez pas l’offense à des soupçons qui m’ont blessée. La défiance excite la défiance, la jalousie intimide un cœur, et, je le crains, l’honneur que vous vouliez me faire eût coûté cher à mon repos et à ma liberté.

Le roi se tut, n’osant, de peur de tout perdre, s’engager plus avant sur la foi d’un vil et perfide espion…

La reine reprit avec une grâce familière et charmante :

— Écoutez, Soliman, soyez vrai, soyez vous-même, soyez aimable. Mon illusion m’est chère encore… mon esprit est combattu ; mais, je le sens, il me serait doux d’être rassurée,

— Ah ! que vous banniriez tout souci, Balkis, si vous lisiez dans ce cœur où vous régnez sans partage ! Oublions mes soupçons, et les vôtres, et consentez enfin à mon bonheur. Fatale puissance des rois ! que ne suis-je, aux pieds de Balkis, fille des pâtres, un pauvre Arabe du désert !

— Votre vœu s’accorde avec les miens, et vous m’avez comprise. Oui, ajouta-t-elle en approchant de la chevelure du roi son visage à la fois candide et passionné ; oui, c’est l’austérité du mariage hébreu qui me glace et m’effraye : l’amour, l’amour seul m’eût entraînée, si…