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VOYAGE EN ORIENT.

l’attendais impatiente. Allez en paix, mon bien-aimé ! Balkis ne sera jamais qu’à vous !

— Adieu donc, reine : il faut quitter cette tente où j’ai trouvé un bonheur que je n’avais jamais rêvé ; il faut cesser de contempler celle qui est pour moi la vie. Vous reverrai-je ? hélas ! et ces rapides instants auront passé comme un songe !

— Non, Adoniram ; bientôt, réunis pour toujours !… Mes rêves, mes pressentiments, d’accord avec l’oracle des génies, m’assurent de la durée de notre race, et j’emporte avec moi un gage précieux de notre hymen. Vos genoux recevront ce fils destiné à nous faire renaître et à affranchir l’Yémen et l’Arabie entière du faible joug des héritiers de Soliman. Un double attrait vous appelle ; une double affection vous attache à celle qui vous aime, et vous reviendrez.

Adoniram, attendri, appuya ses lèvres sur une main où la reine avait laissé tomber des pleurs, et, rappelant son courage, il jeta sur elle un long et dernier regard ; puis, se détournant avec effort, il laissa retomber derrière lui le rideau de la tente, et regagna le bord du Cédron.

C’est à Mello que Soliman, partagé entre la colère, l’amour, le soupçon et des remords anticipés, attendait, livré à de vives angoisses, la reine souriante et désolée, tandis qu’Adoniram, s’efforçant d’enfouir sa jalousie dans les profondeurs de son chagrin, se rendait au temple pour payer les ouvriers avant de prendre le bâton de l’exil. Chacun de ces personnages pensait triompher de son rival, et comptait sur un mystère pénétré de part et d’autre. La reine déguisait son but, et Soliman, trop bien instruit, dissimulait à son tour, demandant le doute à son amour-propre ingénieux.

Du sommet des terrasses de Mello, il examinait la suite de la reine de Saba, qui serpentait le long du sentier d’Émathie, et, au-dessus de Balkis, les murailles empourprées du temple où régnait encore Adoniram, et qui faisaient briller sur un nuage sombre leurs arêtes vives et dentelées. Une moiteur