Page:Nerval - Voyage en Orient, II, Lévy, 1884.djvu/183

Cette page a été validée par deux contributeurs.
171
LES NUITS DU RAMAZAN.

prendre congé de sa royale amante, préparée à une séparation qu’elle avait elle-même demandée.

— Partir avec moi, avait-elle dit, ce serait affronter Soliman, l’humilier à la face de son peuple, et joindre un outrage à la peine que les puissances éternelles m’ont contrainte de lui causer. Rester ici après mon départ, cher époux, ce serait chercher votre mort. Le roi vous jalouse, et ma fuite ne laisserait à la merci de ses ressentiments d’autre victime que vous.

— Eh bien, partageons la destinée des enfants de notre race, et soyons sur la terre errants et dispersés. J’ai promis à ce roi d’aller à Tyr. Soyons sincères dès que votre vie n’est plus à la merci d’un mensonge. Cette nuit même, je m’acheminerai vers la Phénicie, où je ne séjournerai guère avant d’aller vous rejoindre dans l’Yémen, par les frontières de la Syrie, de l’Arabie Pierreuse, et en suivant les défilés des monts Cassanites. Hélas ! reine chérie, faut-il déjà vous quitter, vous abandonner sur une terre étrangère, à la merci d’un despote amoureux ?

— Rassurez-vous, monseigneur, mon âme est toute à vous, mes serviteurs sont fidèles, et ces dangers s’évanouiront devant ma prudence. Orageuse et sombre sera la nuit prochaine qui cachera ma fuite. Quant à Soliman, je le hais ; ce sont mes États qu’il convoite : il m’a environnée d’espions ; il a cherché à séduire mes serviteurs, à suborner mes officiers, à traiter avec eux de la remise de mes forteresses. S’il eût acquis des droits sur ma personne, jamais je n’aurais revu l’heureux Yémen. Il m’avait extorqué une promesse, il est vrai ; mais qu’est-ce que mon parjure au prix de sa déloyauté ? Étais-je libre, d’ailleurs, de ne point le tromper, lui qui tout à l’heure m’a fait signifier, avec des menaces mal déguisées, que son amour est sans bornes et sa patience à bout ?

— Il faut soulever les corporations !

— Elles attendent leur solde ; elles ne bougeraient pas. À quoi bon se jeter dans des hasards si périlleux ? Cette déclaration, loin de m’alarmer, me satisfait ; je l’avais prévue, et je