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VOYAGE EN ORIENT.

— Trois pauvres ambitieux honnêtes, mais sans talent. Ils aspiraient au titre de maître, et m’ont pressé de leur livrer le mot de passe, afin d’avoir droit à un salaire plus fort. À la fin, ils ont entendu raison, et tout récemment j’ai eu à me louer de leur bon cœur.

— Maître, il est écrit : « Crains le serpent blessé qui se replie. » Connaissez mieux les hommes : ceux-là sont vos ennemis ; ce sont eux qui ont, par leurs artifices, causé les accidents qui ont risqué de faire échouer le coulage de la mer d’airain.

— Et comment savez-vous, seigneur… ?

— Croyant tout perdu, confiant dans votre prudence, j’ai cherché les causes occultes de la catastrophe, et, comme j’errais parmi les groupes, ces trois hommes, se croyant seuls, ont parlé.

— Leur crime a fait périr beaucoup de monde. Un tel exemple serait dangereux ; c’est à vous qu’il appartient de statuer sur leur sort. Cet accident me coûte la vie d’un enfant que j’aimais, d’un artiste habile : Benoni, depuis lors, n’a pas reparu. Enfin, seigneur, la justice est le privilège des rois.

— Elle sera faite à chacun. Vivez heureux, maître Adoniram ; Soliman ne vous oubliera pas.

Adoniram, pensif, semblait indécis et combattu. Tout à coup, cédant à un moment d’émotion :

— Quoi qu’il advienne, seigneur, soyez à jamais assuré de mon respect, de mes pieux souvenirs, de la droiture de mon cœur. Et, si le soupçon venait à votre esprit, dites-vous : « Comme la plupart des humains, Adoniram ne s’appartenait pas ; il fallait qu’il accomplît ses destinées ! »

— Adieu, maître… Accomplissez vos destinées !

Ce disant, le roi lui tendit une main sur laquelle l’artiste s’inclina avec humilité ; mais il n’y posa point ses lèvres, et Soliman tressaillit.

— Eh bien, murmura Sadoc en voyant Adoniram s’éloigner ; eh bien, qu’ordonnez-vous, seigneur ?