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VOYAGE EN ORIENT.

touché de vos prières, et c’est moi, seigneur, qui dois vous féliciter et vous crier merci !

— Qui me délivrera de l’ironie de cet homme ? pensait Soliman. — Vous me quittez sans douie pour accomplir ailleurs d’autres merveilles ? demanda-t-il.

— Naguère encore, seigneur, je l’aurais juré. Des mondes s’agitaient dans ma tête embrasée ; mes rêves entrevoyaient des blocs de granit, des palais souterrains avec des forêts de colonnes, et la durée de nos travaux me pesait. Aujourd’hui, ma verve s’apaise, la fatigue me berce, le loisir me sourit, et il me semble que ma carrière est terminée…

Soliman crut entrevoir certaines lueurs tendres qui miroitaient autour des prunelles d’Adoniram. Son visage était grave, sa physionomie mélancolique, sa voix plus pénétrante que de coutume ; de sorte que Soliman, troublé, se dit :

— Cet homme est très-beau… — Où comptez-vous aller, en quittant mes États ? demanda-t-il avec une feinte insouciance.

— À Tyr, répliqua sans hésiter l’artiste : je l’ai promis à mon protecteur, le bon roi Hiram, qui vous chérit comme un frère, et qui eut pour moi des bontés paternelles. Sous votre bon plaisir, je désire lui porter un plan, avec une vue en élévation, du palais, du temple, de la mer d’airain, ainsi que des deux grandes colonnes torses de bronze, Jakin et Booz, qui ornent la grande porte du temple.

— Qu’il en soit selon votre désir. Cinq cents cavaliers vous serviront d’escorte, et douze chameaux porteront les présents et les trésors qui vous sont destinés.

— C’est trop de complaisance : Adoniram n’emportera que son manteau. Ce n’est pas, seigneur, que je refuse vos dons. Vous êtes généreux ; ils sont considérables, et mon départ soudain mettrait votre trésor à sec sans profit pour moi. Permettez-moi une si entière franchise. Ces biens que j’accepte, je les laisse en dépôt entre vos mains. Quand j’en aurai besoin, seigneur, je vous le ferai savoir.