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LES NUITS DU RAMAZAN.

— Hélas ! balbutia cette fille royale, moi non plus, je n’ai jamais aimé.

Sa voix expira sans qu’Adoniram, craignant de s’éveiller d’un rêve, osât troubler ce silence.

Bientôt Sarahil se rapprocha, et tous deux comprirent qu’il fallait parler, sous peine de se trahir. La huppe voltigeait çà et là autour du statuaire, qui s’empara de ce sujet.

— Que cet oiseau est d’un plumage éclatant ! dit-il d’un air distrait ; le possédez-vous depuis longtemps ?

Ce fut Saharil qui répondit, sans détourner sa vue du sculpteur Adoniram :

— Cet oiseau est l’unique rejeton d’une espèce à laquelle, comme aux autres habitants des airs, commandait la race des génies. Conservée on ne sait par quel prodige, la huppe, depuis un temps immémorial, obéit aux princes hémiarites. C’est par son entremise que la reine rassemble à son gré les oiseaux du ciel.

Cette confidence produisit un effet singulier sur la physionomie d’Adoniram, qui contempla Balkis avec un mélange de joie et d’attendrissement.

— C’est un animal capricieux, dit-elle. En vain Soliman l’a-t-il accablée de caresses, de friandises, la huppe lui échappe avec obstination, et il n’a pu obtenir qu’elle vint se poser sur son poing.

Adoniram réfléchit un instant, parut frappé d’une inspiration et sourit. Sarahil devint plus attentive encore.

Il se lève, prononce le nom de la huppe, qui, perchée sur un buisson, reste immobile et le regarde de côté. Faisant un pas, il trace dans les airs le Tau mystérieux, et l’oiseau, déployant ses ailes, voltige sur sa tête, et se pose avec docilité sur son poing.

— Mes soupçons étaient fondés, dit Sarahil ; l’oracle est accompli.

— Ombres sacrées de mes ancêtres ! ô Tubal-Kaïn, mon père ! vous ne m’avez point trompé ! Balkis, esprit de lumière,