Page:Nerval - Voyage en Orient, II, Lévy, 1884.djvu/140

Cette page a été validée par deux contributeurs.
128
VOYAGE EN ORIENT.

des plaintes et des malédictions ; il ne rencontre que des cadavres : le reste est dispersé. Soliman seul est demeuré impassible sur son trône ; la reine est restée calme à ses côtés. Ils font encore briller dans ces ténèbres le diadème et le sceptre.

— Jéhovah l’a châtié ! dit Soliman à son hôtesse. Et il me punit, par la mort de mes sujets, de ma faiblesse, de mes complaisances pour un monstre d’orgueil.

— La vanité qui immole tant de victimes est criminelle, prononça la reine. Seigneur, vous auriez pu périr durant cette infernale épreuve : l’airain pleuvait autour de nous.

— Et vous étiez là ! et ce vil suppôt de Baal a mis en péril une vie si précieuse ! Partons, reine ; votre péril m’a seul inquiété.

Adoniram, qui passait près d’eux, l’entendit ; il s’éloigna en rugissant de douleur. Plus loin, il avisa un groupe d’ouvriers qui l’accablaient de mépris, de calomnies et de malédictions. Il fut rejoint par le Syrien Phanor, qui lui dit :

— Tu es grand ; la fortune t’a trahi ; mais elle n’a pas eu les maçons pour complices.

Amrou le Phénicien le rejoignit à son tour et lui dit :

— Tu es grand, et tu serais vainqueur, si chacun eût fait son devoir comme les charpentiers.

Et le Juif Méthousaël lui dit :

— Les mineurs ont fait leur devoir ; mais ce sont ces ouvriers étrangers qui, par leur ignorance, ont compromis l’entreprise. Courage ! une œuvre plus grande nous vengera de cet échec.

— Ah ! pensa Adoniram, voilà les seuls amis que j’aie trouvés…

Il lui fut facile d’éviter les rencontres ; chacun se détournait de lui, et les ténèbres protégeaient ces désertions. Bientôt les lueurs des brasiers et de la fonte qui rougissait en se refroidissant à la surface n’éclairaient plus que des groupes lointains, qui se perdaient peu à peu dans les ombres. Adoniram, abattu, cherchait Benoni.