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VOYAGE EN ORIENT.

depuis trois ans, et fort splendidement, du produit de ses portraits et de ses tableaux ; — ce qui prouve que Constantinople n’est pas aussi brouillé qu’on le croit avec les Muses. Nous étions partis de Péra, la ville franque, pour nous rendre aux bazars de Stamboul, la ville turque.

Après avoir passé la porte fortifiée de Galata, on a encore à descendre une longue rue tortueuse, bordée de cabarets, de pâtissiers, de barbiers, de bouchers et de cafés francs qui rappellent les nôtres, et dont les tables sont chargées de journaux grecs et arméniens ; — il s’en publie cinq ou six à Constantinople seulement, sans compter les journaux grecs qui viennent de Morée. — C’est là le cas pour tout voyageur de faire appel à son érudition classique, afin de saisir quelques mots de cette langue vivace qui se régénère de jour en jour. La plupart des journaux affectent de s’éloigner du patois moderne et de se rapprocher du grec ancien jusqu’au point juste où ils pourraient risquer de n’être plus compris. On trouve là aussi des journaux valaques et serbes imprimés en langue roumaine, beaucoup plus facile à comprendre pour nous que le grec, à cause d’un mélange considérable de mots latins. Nous nous arrêtâmes quelques minutes dans un de ces cafés, pour y prendre un gloria sucré, chose inconnue chez les cafetiers turcs. — Plus bas, on rencontre le marché aux fruits offrant des échantillons magnifiques de la fertilité des campagnes qui environnent Constantinople. Enfin, l’on arrive, en descendant toujours, par des rues tortueuses et encombrées de passants, à l’échelle où il faut s’embarquer pour traverser la Corne d’or, golfe d’un quart de lieue de largeur et d’une lieue environ de longueur, qui est le port le plus merveilleux et le plus sûr du monde, et qui sépare Stamboul des faubourgs de Péra et de Galata.

Cette petite place est animée par une circulation extraordinaire, et présente, du côté du port, un embarcadère en planches bordé de caïques élégants. Les rameurs ont des chemises en crêpe de soie à manches longues d’une coupe tout à fait galante ; leur barque file avec rapidité, grâce à sa forme