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VOYAGE EN ORIENT.

leurs occupations, les ouvriers étaient accourus, et, le soir qui précéda la nuit fatale, dès le coucher du soleil, les collines et les montagnes d’alentour s’étaient couvertes de curieux.

Jamais fondeur n’avait, de son chef, et en dépit des contradictions, engagé si redoutable partie. En toute occasion, l’appareil de la fonte offre un intérêt vif, et souvent, lorsqu’on moulait des pièces importantes, le roi Soliman avait daigné passer la nuit aux forges avec ses courtisans, qui se disputaient l’honneur de l’accompagner.

Mais la fonte de la mer d’airain était une œuvre gigantesque, un défi du génie aux préjugés humains, à la nature, à l’opinion des plus experts, qui tous avaient déclaré le succès impossible.

Aussi des gens de tout âge et de tout pays, attirés par le spectacle de cette lutte, envahirent-ils de bonne heure la colline de Sion, dont les abords étaient gardés par des légions ouvrières. Des patrouilles muettes parcouraient la foule pour y maintenir l’ordre, et empêcher le bruit… Tâche facile, car, par ordre du roi, on avait, à son de trompe, prescrit le silence le plus absolu sous peine de la vie ; précaution indispensable pour que les commandements pussent être transmis avec certitude et rapidité.

Déjà l’étoile du soir s’abaissait sur la mer ; la nuit profonde, épaissie des nuages roussis par les effets du fourneau, annonçait que le moment était proche. Suivi des chefs ouvriers, Adoniram, à la clarté des torches, jetait un dernier coup d’œil sur les préparatifs et courait çà et là. Sous le vaste appentis adossé à la fournaise, on entrevoyait les forgerons, coiffés de casques de cuir à larges ailes rabattues et vêtus de longues robes blanches à manches courtes, occupés à arracher de la gueule béante du four, à l’aide de longs crochets de fer, des masses pâteuses d’écume à demi vitrifiées, scories qu’ils entraînaient au loin ; d’autres, juchés sur des échafaudages portés par de massives charpentes, lançaient, du sommet de l’édifice, des paniers de charbon dans le foyer, qui rugissait au souffle