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LES NUITS DU RAMAZAN.

d’eau dans laquelle la table, les divans et les cierges se reflètent.

— Qui vous arrête ? demande Soliman d’un air étonné.

Balkis veut se montrer supérieure à la crainte ; d’un geste charmant, elle relève sa robe et plonge avec fermeté.

Mais le pied est refoulé par une surface solide.

— Ô reine ! vous le voyez, dit le sage, le plus prudent se trompe en jugeant sur l’apparence ; j’ai voulu vous étonner et j’y ai enfin réussi… Vous marchez sur un parquet de cristal.

Elle sourit, en faisant un mouvement d’épaules plus gracieux qu’admiratif, et regretta peut-être que l’on n’eût pas su l’étonner autrement.

Pendant le festin, le roi fut galant et empressé ; ses courtisans l’entouraient, et il régnait au milieu d’eux avec une si incomparable majesté, que la reine se sentit gagnée par le respect. L’étiquette s’observait rigide et solennelle à la table de Soliman.

Les mets étaient exquis, variés, mais fort chargés de sel et d’épices : jamais Balkis n’avait affronté de si hautes salaisons. Elle supposa que tel était le goût des Hébreux : elle ne fut donc pas médiocrement surprise de s’apercevoir que ces peuples qui bravaient des assaisonnements si relevés s’abstenaient de boire. Point d’échansons ; pas une goutte de vin ni d’hydromel ; pas une coupe sur la table.

Balkis avait les lèvres brûlantes, le palais desséché, et, comme le roi ne buvait pas, elle n’osa demander à boire : la dignité du prince lui imposait.

Le repas terminé, les courtisans se dispersèrent peu à peu et disparurent dans les profondeurs d’une galerie à demi éclairée. Bientôt, la belle reine des Sabéens se vit seule avec Soliman plus galant que jamais, dont les yeux étaient tendres et qui, d’empressé, devint presque pressant.

Surmontant son embarras, la reine, souriante et les yeux baissés, se leva, annonçant l’intention de se retirer.