Page:Nerval - Voyage en Orient, II, Lévy, 1884.djvu/125

Cette page a été validée par deux contributeurs.
113
LES NUITS DU RAMAZAN.

d’imiter, si Dieu, dans sa clémence, ne nous eût réparti les eaux abondantes et bénies du Jourdain.

— Je l’ai traversé hier à gué, ajouta la reine ; mes chameaux en avaient presque jusqu’aux genoux.

— Il est dangereux de renverser l’ordre de la nature, prononça le sage, et de créer, en dépit de Jéhovah, une civilisation artificielle, un commerce, des industries, des populations subordonnées à la durée d’un ouvrage des hommes. Notre Judée est aride ; elle n’a pas plus d’habitants qu’elle n’en peut nourrir, et les arts qui les soutiennent sont le produit régulier du sol et du climat. Que votre lac, cette coupe ciselée dans les montagnes, se brise, que ces constructions cyclopéennes s’écoulent, — et un jour verra ce malheur ! — vos peuples, frustrés du tribut des eaux, expirent consumés par le soleil, dévorés par la famine au milieu de ces campagnes artificielles.

Saisie de la profondeur apparente de cette réflexion, Balkis demeura pensive.

— Déjà, poursuivit le roi, déjà, j’en ai la certitude, les ruisseaux tributaires de la montagne creusent des ravines et cherchent à s’affranchir de leurs prisons de pierre, qu’ils minent incessamment. La terre est sujette à des tremblements, le temps déracine les rochers, l’eau s’infiltre et fuit comme les couleuvres. En outre, chargé d’un pareil amas d’eau, votre magnifique bassin, que l’on a réussi à établir à sec, serait impossible à réparer. Ô reine ! vos ancêtres ont assigné aux peuples l’avenir limité d’un échafaudage de pierre. La stérilité les aurait rendus industrieux ; ils eussent tiré parti d’un sol où ils périront oisifs et consternés avec les premières feuilles des arbres, dont les canaux cesseront un jour d’aviver les racines. Il ne faut point tenter Dieu, ni corriger ses œuvres. Ce qu’il fait est bien.

— Cette maxime, repartit la reine, provient de votre religion, amoindrie par les doctrines ombrageuses de vos prêtres. Ils ne vont pas à moins qu’à tout immobiliser, qu’à tenir la société dans les langes et l’indépendance humaine en tutelle. Dieu a-t-il labouré et semé des champs ? Dieu a-t-il fondé des