Page:Nerval - Voyage en Orient, II, Lévy, 1884.djvu/119

Cette page a été validée par deux contributeurs.
107
LES NUITS DU RAMAZAN.

— Qu’à cela ne tienne, seigneur, dit avec simplicité Adoniram ; la reine ne saurait demander rien d’impossible, et quelques minutes suffiront.

À ces mots, Adoniram, s’adossant au portique extérieur et se faisant un piédestal d’un bloc de granit qui se trouvait auprès, se tourne vers cette foule innombrable, sur laquelle il promène ses regards. Il fait un signe, et tous les flots de cette mer pâlissent, car tous ont levé et dirigé vers lui leurs clairs visages.

La foule est attentive et curieuse… Adoniram lève le bras droit, et, de sa main ouverte, trace dans l’air une ligne horizontale, du milieu de laquelle il fait retomber une perpendiculaire, figurant ainsi deux angles droits en équerre comme les produit un fil à plomb suspendu à une règle, signe sous lequel les Syriens peignent la lettre T, transmise aux Phéniciens par les peuples de l’Inde, qui l’avaient dénommée tha, et enseignée depuis aux Grecs, qui l’appellent tau.

Désignant dans ces anciens idiomes, à raison de l’analogie hiéroglyphique, certains outils de la profession maçonnique, la figure T était un signe de ralliement.

Aussi, à peine Adoniram l’a-t-il tracée dans les airs, qu’un mouvement régulier se manifeste dans la foule du peuple. Cette mer humaine se trouble, s’agite, des flots surgissent en sens divers, comme si une trombe de vent l’avait tout à coup bouleversée. Ce n’est d’abord qu’une confusion générale ; chacune court en sens opposé. Bientôt des groupes se dessinent, se grossissent, se séparent ; des vides sont ménagés ; des légions se disposent carrément ; une partie de la multitude est refoulée ; des milliers d’hommes, dirigés par des chefs inconnus, se rangent comme une armée qui se partage en trois corps principaux subdivisés en cohortes distinctes, épaisses et profondes. Alors, et tandis que Soliman cherche à se rendre compte du magique pouvoir de maître Adoniram, alors tout s’ébranle ; cent mille hommes, alignés en quelques instants, s’avancent silencieux de trois côtés à la fois. Leurs pas lourds et réguliers