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VOYAGE EN ORIENT.

Soliman gonfla sa poitrine dorée, souleva son bras doré, et passa la main avec complaisance sur sa barbe d’ébène, divisée en plusieurs tresses et nattée avec des cordelettes d’or.

— Un grand poëte ! répéta Balkis. Ce qui fait qu’en vous l’on pardonne en souriant aux erreurs du moraliste.

Cette conclusion, peu attendue, allongea les lignes de l’auguste face de Soliman, et produisit un mouvement dans la foule des courtisans les plus rapprochés. C’étaient : Zabud, favori du prince, tout chargé de pierreries ; Sadoc le grand prêtre, avec son fils Azarias, intendant du palais, et très-hautain avec ses inférieurs ; puis Ahia, Élioreph, grand chancelier, Josaphat, maître des archives… et un peu sourd. Debout, vêtu d’une robe sombre, se tenait Ahias de Silo, homme intègre, redouté à cause de son génie prophétique ; du reste, railleur froid et taciturne. Tout proche du souverain, on voyait accroupi, au centre de trois coussins empilés, le vieux Banaïas, général en chef pacifique des tranquilles armées du placide Soliman. Harnaché de chaînes d’or et de soleils en pierreries, couché sous le faix des honneurs, Banaïas était le demi-dieu de la guerre. Jadis, le roi l’avait chargé de tuer Joab et le grand prêtre Abiathar, et Banaïas les avait poignardés. Dès ce jour, il parut digne de la plus grande confiance au sage Soliman, qui le chargea d’assassiner son frère cadet, le prince Adonias, fils du roi Daoud,… et Banaïas égorgea le frère du sage Soliman.

Maintenant, endormi dans sa gloire, appesanti par les années, Banaïas, presque idiot, suit partout la cour, n’entend plus rien, ne comprend rien, et ranime les restes d’une vie défaillante en réchauffant son cœur aux souriantes lueurs que son roi laisse rayonner sur lui. Ses yeux décolorés cherchent incessamment le regard royal : l’ancien loup-cervier s’est fait chien sur ses vieux jours.

Quand Balkis eut laissé tomber de ses lèvres adorables ces mots piquants, dont la cour resta consternée, Banaïas, qui n’avait rien comprise, et qui accompagnait d’un cri d’admiration