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vous prédire… — Achevez, mon impatience est au comble… hâtez-vous d’annoncer ce bonheur à celui qui n’a peut-être plus que quelques jours à vivre… — Vous vivrez. Votre digne père… — Mon père ? — Cette homme, aussi vertueux que malheureux, est justifié par l’aveu même de ceux qui l’avaient calomnié. Vous aurez la satisfaction de voir rendre à sa mémoire toute la justice qui lui est due, de jouir vous-même de votre état et de reprendre votre rang dans la société…

Ce que nous avions craint ne manqua point d’arriver. La révolution que cette ouverture fit éprouver au comte le priva subitement de l’usage de ses sens ; toute la maison était occupée à le secourir. Je le fis transporter à son appartement. Cependant je ne croyais pas avoir à me reprocher ma précipitation ; il était impossible qu’il ne vît milord Sydney, ou, du moins, qu’il ne le sût chez moi dans quelques moments. J’avais lieu de craindre les excès auxquels le comte était sujet à se laisser porter par ses passions ; il pouvait se détruire ; il pouvait attaquer milord Sydney, nous donner un spectacle tragique, attirer sur nous les plus grands malheurs. J’avais donc cru devoir verser en son âme une source d’espérances et de consolation. Son trouble était l’ouvrage du premier moment. Celui qui devait lui succéder allait être heureux. Je détournais son imagination, ses idées, des objets funestes qui commençaient à l’assaillir ; je prévenais les dangereux effets de la jalousie ; je ne fus même point désapprouvée de Sylvina. L’homme de confiance du comte accourut et lui fit une légère saignée qui fut bientôt suivie d’un sommeil assez calme.

Milord Sydney parut enfin ; il me serra dans ses bras avec les expressions de la plus vive tendresse ; mais j’y répondis d’autant plus froidement que je craignais d’avoir ensuite à rougir de ma perfidie si je faisais des efforts pour rendre mes caresses plus empressées. En un mot, je ne reçus pas milord Sydney même aussi bien que l’aurait permis, sans mes réflexions, le sincère attachement que j’avais pour lui.