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chose que la supériorité de fortune ne pardonne pas, c’est la supériorité intellectuelle.

Douze années de la jeunesse de M. Bumouf, ordinairement les plus riantes de cet âge, se consumèrent ainsi dans un perpétuel combat des instincts de l’esprit et des nécessités de la condition, dans l’asservissement des goûts aux devoirs ; douze années cependant qui ne furent point perdues pour la science, car on a retrouvé dans ses papiers des traductions et d’autres essais de ce temps-là ; douze années qui ne furent pas perdues surtout pour l’éducation d’une âme bien trempée, que la lutte grandit et fortifie. M. Burnouf y acquit, par l’habitude de contenir toujours ses besoins et ses désirs dans une mesure inférieure à ses ressources, et de chercher sa félicité dans des régions élevées et pures, la plus grande des puissances, la plus haute des dignités, l’indépendance morale de l’homme de bien, qui sait allier avec le respect de l’autorité légitime et sage le mépris de l’injustice et de l’injure, en quelque rang que le hasard eût placé ceux qui auraient voulu les faire tomber sur lui.

Enfin, un rayon de liberté vint luire sur le pauvre esclave et rompre sa chaîne. Un de ses amis, un de ses anciens condisciples, qui lui survit encore à présent, vénérable débris du vieil enseignement universitaire, M. Auvray, fut son libérateur malgré lui, en le donnant à l’Université. Un tel présent égalerait les nombreux services qu’il a rendus lui-même à la jeunesse, et dont tant de familles se souviennent encore aujourd’hui.

En 1805, il laissait vacante, au lycée Charlemagne, une place de professeur suppléant de seconde, et vint offrir sa succession à son ami ; il le proposait à M. Gueroult, autrefois leur professeur au collège d’Har-