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pas. Il lui vient l’aimable mais très malheureuse idée de m’inviter à déjeuner pour le lendemain.

Ah ! vous me voyez d’ici, moi, hanté par la perpétuelle obsession d’êtres vrais ou imaginaires qui m’étudient, me surveillent, me prennent en « flagrant délit » de folie, vous me voyez attablé dans une maison où la famille est assez nombreuse, — le mari, la femme, une belle-mère, trois enfants, deux cousines et un vieil oncle !

Rien qu’à ma façon de manger, — à mes moindres mouvements, — aux gestes, même, que je ne ferai pas mais que je serai sur le point de faire, l’un ou l’autre des convives est capable de tout deviner ! Je ne puis pas accepter ! Je ne puis pas ! non ! non ! Que dire ? quel prétexte inventer ? Je ne sais plus, moi !

Je réponds un peu brusquement : « Demain ! Non merci ! Impossible !

— Mais un autre jour ?

Je ne découvre que cette excuse réellement stupéfiante :

— Ce n’est pas à faire ! Je serais désagréable !

Et mon ami a beau multiplier les arguments pour me prouver que je n’ai aucune raison de me dérober ainsi, que je suis presque grossier, il ne parvient à tirer de moi que cette éternelle réplique-refrain :

— Je serais désagréable ! Je serais désagréable !

Il me quitte, médiocrement ravi de ma bonne grâce. Pendant un long moment, je demeure comme accablé, — avec un gros poids sur le cœur.