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Mais je ne l’écoute plus : j’entends Léonard et François échanger de violentes épithètes ; dans une minute ils vont se battre si je ne m’interpose pas.

Je dis très haut, de ce ton froid, de cette voix blanche qui paralysent toujours pour un instant les champions les plus belliqueux, — surtout quand ils ne s’attendent pas à être interpellés :

— Eh ! qu’y a-t-il donc ! Vous allez faire le coup de poing parce que j’avais perdu l’usage de la parole ! — Ce n’était rien ! Une simple crise nerveuse qui m’avait fortement exaspéré, c’est vrai, mais qui est passée à présent. J’espère, Léonard, que vous resterez tranquille quand vous saurez que personne n’a provoqué cette crise, — pas plus François qu’un autre. Donnez-moi à manger, je meurs de faim. Après, vous irez vous promener où vous voudrez, mais je désire me reposer sans voir personne.

Les deux ennemis temporaires me dévisagent, stupéfaits, « aplatis », comme me le dira plus tard mon gardien. Ils s’éloignent l’un de l’autre, en se menaçant encore des poings, pour ne pas sembler céder trop vite, — en bafouillant d’inintelligibles provocations accentuées de ces rapides et formidables hochements de tête, mentons en avant, qui expriment si bien la rancune, le défi et avertissent si nettement l’adversaire « d’avoir à ne jamais recommencer » sous peine de « voir un peu » !…

Lorsque nous avons déjeuné, — (le tkoukrien et moi) — et que Léonard a transporté vers d’autres parages sa colère refluante et le lourd mépris dont