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Seigneur et roi des cieux, ma sœur je confie. De tout danger, Seigneur, daigne la protéger. »

— « Ça, c’est de la plus atroce poésie que, seuls, Carré et Barbier pouvaient pondre, fis-je riant. Même nos poétereaux les plus hermétiques d’aujourd’hui ne pourraient faire pire. »

— « Et, reprit le diable, voyez-vous Valentin, ce soudard, recommandant sa sœur au Ciel, quand lui-même, au cours de la guerre à laquelle il s’en va prendre part, ne manquera pas de violer la première qui lui tombera entre les mains ! »

À ces mots, j’éclatai de rire. Mais, mon oncle rageait et, après avoir multiplié ses « Serpent noir de Serpent noir », ajouta :

— « Vous parlez comme des idiots qui ne comprennent pas qu’il faut tout oublier cela, pour ne penser qu’à la musique magnifique de Gounod. »

Le diable comprit, qu’en somme, il avait le dessus et ne voulut pas abuser de son avantage.

— « Oublions cela, Monsieur le pianiste, et parlons d’autre chose, si vous le voulez bien. Dites-moi plutôt ce que vous pensez de la musique américaine. »

— « La musique américaine ? fit mon oncle, je suis passablement de l’opinion de Sir Thomas Beecham, je me demande si elle existe. »

— « Aie, aie, mon oncle ! pense à Victor Herbert, par exemple ! »

— « Tu devrais bien savoir, pauvre écervelé, que Victor Herbert et Romberg, par exemple, ont écrit de la musique d’inspiration européenne et n’ont jamais écrit de musique… américaine. J’ai connu Victor Herbert, quand il faisait partie de l’orchestre d’Ernest Lavigne, au Parc Sohmer, et ce n’était pas un Américain. »