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— « Ah ! mon « vieux » Robert Choquette ! Lui, il a su donner à ses vers une musique d’une harmonie, d’une profondeur et d’une beauté sereine que mes grands doigts et mon pauvre grand cœur n’ont jamais su exprimer par mon piano. »

— « Robert Choquette restera toujours pour moi le plus grand de nos poètes, et toi, mon oncle, le plus grand de nos pianistes… Pour toi, l’Idéal, c’était donc le but que l’on atteint jamais ? »

— « Rappelle-toi Moïse, qui consacra toute sa vie à conduire son peuple vers la Terre Promise. Du haut du mont Nébo, les bras en croix, les yeux embrumés de larmes, il se contenta de regarder cette Terre Promise où, enfin, entraient les siens, puis mourut sans y pénétrer. L’idéal, ce fut ma Terre Promise… et je ne fus même pas Moïse. »

— « Avoue donc que tu fus toujours trop modeste. Pourquoi n’as-tu jamais voulu publier tes délicieuses harmonisations de nos chansons de folklore ? »

— « Pauvre toi ! Est-ce que les oiseaux des bois font endisquer leurs trilles ? Au début, qu’on soit musicien, poète, peintre ou sculpteur, romancier ou auteur dramatique, on veut à tout prix faire connaître sa première œuvre au public. C’est cette œuvre-là qu’on travaille avec tout son cœur. Les autres, hélas ! on les compose plutôt, avec son cerveau, après s’être fait passer à tabac par les critiques. Et puis, vois-tu, parce qu’il faut bien vivre. Maudit argent, va ! Ensuite, à mesure qu’on vieillit, on se rend compte de plus en plus de l’affreux abîme qui se creuse entre le rêve, l’idéal et la réalité. Au fond, comme tant d’autres l’ont dit avant moi, qu’est-ce que nous pouvons exprimer avec nos pauvres notes, nos pauvres