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L’ÉPAVE MYSTÉRIEUSE

culier, où le couvert avait été préparé. Là les étreintes redoublèrent, quelques larmes très douces se mêlèrent aux rires et aux questions des plus jeunes.

Les mères seules peut-être comprennent l’intensité de ces joies après s’être figuré la douleur causée par la première longue absence d’un enfant bien-aimé.

Quelques instants furent encore donnés à la folie du bonheur. Et puis on se mit à table.

Alors une ombre passa sur la figure de Mme  de Résort, qui regardait ce fils, presque un enfant au départ, un homme aujourd’hui, avec un air qu’elle ne reconnaissait pas, des favoris sur les joues, les mêmes yeux par exemple…

« Eh bien, maman, s’écria Ferdinand, si vous me trouvez changé et affreux, il faut le dire franchement, et ça me sera bien égal, car vous êtes toujours la même et la plus jolie des mères ! Et si vous saviez quelle soif j’ai de vos caresses et avec quelle émotion je pensais tout à l’heure à ma chambre du vieux manoir, où vous me borderiez sans doute encore ce soir dans mon lit comme autrefois. »

L’ombre disparut, la joie resta complète, et pendant qu’elle posait sa main sur celle de son fils, la mère pensait : «  Il n’est pas changé, et l’homme devine mes secrètes pensées et mes inquiétudes comme faisait l’enfant. »

En effet, peu de mères et de fils s’étaient mieux compris que celle-ci et celui-là.

Le dernier, plus tard, en parlant de son heureuse jeunesse, ajoutait souvent :

« Papa étant obligé de naviguer pendant toute mon enfance, c’est maman qui m’a tout appris, réformant aussi, sans une heure d’impatience ni de lassitude, ma nature paresseuse et légère. C’est bien maman qui est entrée, sous mes habits, la deuxième à l’École navale. Elle seule m’a enseigné à suivre les exemples donnés par mon père ! »

Et si elle était présente, la mère, très heureuse et très fière, répondait à son fils :

« Tu es bien sorti le premier du Borda et sans aucune aide… »

Le soleil baissait rapidement lorsque la calèche quitta la grand’route pour entrer dans la lande fleurie. Mille bonnes odeurs se dégageaient aux alentours, et Charlot poussait ses chevaux en se représentant la joie de sa tante tout à l’heure… Dans la voiture, la conversation continuait, avec un peu plus de méthode cependant.

Ayant pleinement satisfait sa mère au sujet de sa santé, Ferdinand