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sa première communion cette année-là, parce qu’il donnait à ses camarades de détestables conseils et des exemples pernicieux.

Mme de Résort, navrée du mauvais résultat de ses soins, déplorait surtout la charge que Thomas était désormais résolu à porter seul ; mais, en prenant congé, le berger dit à la « dame » :

« Le bon Dieu me récompensera un jour, et puis, jusqu’à l’arrivée de Thomy, j’en faisais à ma tête, heureux tant que l’année était longue. Avec Pastoures et mes bêtes j’avais aussi une trop douce existence. À présent la vie sera plus dure ; mais, encore une fois, c’est à la volonté du bon Dieu. Je vais m’en aller plus tôt que les autres automnes, le regain a été hâtif par ici, c’est donc pour le mieux de partir. Ne vous inquiétez point du vieux berger ; d’ailleurs je vous écrirai, si vous le permettez, et peut-être m’adresserez-vous une lettre ou deux, me marquant des nouvelles de tous ceux des Pins et aussi du commandant. Avec moi Thomy ne sera jamais méchant, n’ayant personne à jalouser, sauf Pastoures, qui ne le peut souffrir. L’instinct ne trompe pas les chiens, » continua Thomas, l’air rêveur, debout dans la lande où Mme de Résort disait adieu à son vieil ami, qu’elle quitta le cœur gros après lui avoir tristement serré les mains.

Depuis la scène du jardin, farouche et silencieux, Thomy n’avait plus voulu voir personne ; mais il suivait son parrain en se cachant dès qu’il apercevait un être humain. Ce dernier jour, il feignit de dormir ; la figure cachée dans un fagot de bruyère, il ne remua pas lorsque Mme de Résort essaya de lui dire quelques mots.

Après le départ du berger, la vie reprit aux Pins comme avant ces derniers événements. Des lettres arrivaient régulièrement, datées d’un point ou d’un autre, dans lesquelles Thomas questionnait surtout la dame au sujet des habitants du manoir, parlant fort peu de lui-même ; il ajoutait quelquefois : « Thomy va bien, il est assez docile. »

Mme de Résort répondait à son humble ami qu’elle le plaignait tout en l’appréciant de plus en plus, et chaque été ramenait le berger et Thomy dans les landes de Siouville.

Des mois, des saisons s’écoulèrent ; à un dernier hiver succéda un printemps à la fin duquel le Neptune fut rappelé en France pour venir désarmer à son port d’attache.

L’immense navire entra en rade le 1er juillet, et une demi-heure après il mouillait en prenant le même corps mort qu’il avait largué trois ans et un mois auparavant. Les échelles une fois amenées, une baleinière du Dauphin accosta par tribord. Le commandant en second, heureux, pâle et tremblant de joie, attendait au pied de l’escalier sa femme et son fils. Ferdinand était alors un beau garçon