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« Qu’on soit paré à larguer le corps mort[1]. »

Et sur un signe du commandant, au moment où l’abattue se dessine :

« Larguez le corps mort, » crie l’officier de manœuvre.

Libre de ses amarres, le vaisseau abat rapidement, sans bouger encore ; malgré le grand foc établi à son tour, le colosse paraît hésitant… Mais, la voile de l’avant une fois changée, le Neptune prend de l’air, et, rasant l’avant du bâtiment stationnaire, il obéit franchement au gouvernail, évoluant avec une rapidité croissante dès que les basses voiles et les étais sont établis et que la brigantine a été bordée.

Au moment où le Neptune élongeait le Dauphin, qu’il dominait de toute sa coque, une petite voix aiguë, stridente, arriva jusqu’aux oreilles des officiers groupés sur la dunette du vaisseau.

« Bon voyage, mon papa chéri, » criait cette voix d’enfant pendant que sur la passerelle de l’aviso une dame agitait son mouchoir. Les officiers du Neptune ôtèrent leurs casquettes, M. de Résort éleva la sienne en l’air, et Frisette grimpée sur le coffre aux signaux aboya furieusement.

Sous cette immense pyramide de voiles et légèrement incliné, le Neptune glissa de plus en plus vite. La passe de l’ouest franchie, la barre fut redressée ; bientôt on n’aperçut plus que la mâture, sur laquelle les rayons du soleil tombaient d’aplomb, éclairant vivement les perroquets. Ceux-ci projetaient leur ombre en dessous et par le contraste les basses-voiles semblaient être devenues toutes noires.

Ensuite les unes et les autres se confondirent avec les brumes amoncelées à l’horizon. Et lorsque les cloches des églises sonnèrent l’angélus, même des hauteurs environnant la ville on eût en vain cherché à découvrir le vaisseau dont l’absence faisait paraître presque déserte la rade de Cherbourg.




  1. Énormes tonnes cerclées de fer mouillées dans les rades.