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Plus tard, il aperçut la lune à son premier, quartier, montant au-dessus du ravin des Anglais, dont elle illuminait les pentes neigeuses. Le blessé éprouva un véritable soulagement à n’être plus dans les ténèbres. Il resta ainsi toute la nuit sans se décourager ou s’irriter, suivant du regard le disque lumineux.

… Pour relever les grand’gardes, à l’aube, une ronde parcourut les tranchées. Étonné d’entendre hennir un cheval, l’officier s’avança vers le bastion abandonné. Il aperçut d’abord Mab, et, plus loin, sous l’épaulement extrême, le commandant Keith, évanoui et baigné dans son sang.

Des soldats rapportèrent le blessé jusqu’à l’ambulance la plus rapprochée, celle du Clocheton, grande baraque en planches où des lits de fer n’étaient garnis que de misérables paillasses. Au camp anglais, surtout dans le quartier de la cavalerie, ce fut un véritable deuil lorsque courut cette nouvelle : « Le major Harry Keith est mortellement blessé. »

… Depuis une semaine, M. de Résort, Marine et le commandant Le Toullec habitaient, non loin de Scutari, la maison de campagne d’un riche négociant grec. L’amiral l’ayant autrefois obligé, celui-ci s’estima très heureux de mettre sa propriété, en ce moment inoccupée, à la disposition de l’amiral et de sa famille.

À Constantinople, où il dut s’arrêter, gravement malade, l’amiral de Résort avait été transporté à l’École militaire turque, dont les bâtiments servirent d’ambulance française pendant toute la guerre. Cette école est à Péra, établie dans un grand bâtiment entouré de vastes Jardins. Elle domine le palais impérial de Dolma-Batché.

Rivalisant de zèle, les médecins militaires ou civils et les sœurs de charité ne pouvaient empêcher l’air de se vicier par suite de la trop grande agglomération des blessés et des malades réunis là. On se hâtait donc d’expédier les officiers et les soldats en convalescence.

Dès que M. de Résort fut transportable, et au lendemain de l’arrivée de Marine, le médecin en chef engagea vivement la jeune fille à accepter la proposition du négociant grec.

L’amiral, sa fille et leur ami étaient donc partis, et le premier revenait chaque jour à la santé ; mais, interrogés à propos du service en Crimée, tous les chirurgiens de Péra et de Scutari répondirent dans le même sens, que « si avant quelques mois l’amiral de Résort s’exposait à de brusques changements de température ou s’enrhumait de nouveau, il éprouverait une rechute très probablement mortelle ».

Quant à Marine, bien heureuse de voir son père rétabli, elle continuait à Scutari une tâche commencée à Péra. Seulement à Péra, elle aidait les sœurs de charité françaises à l’hôpital français, tandis qu’à