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Ferdinand se les reprochait, et, afin de compenser ce tort imaginaire, il recommanda chaudement l’adjudant Thomy au général Bouat.

Deux jours après, ce dernier rendit visite au blessé, et aussitôt assis il s’écria :

« Eh bien, jeune homme, Bosquet m’a traité de la belle façon à propos de votre artilleur : « Vous perdez la tête, m’a-t-il dit, vraiment, Bouat ; avant de faire une pareille démarche au sujet de cet oiseau-là, vous eussiez dû consulter ses notes ; elles m’ont appris que c’est un garçon vantard, insolent, beau parleur, pilier de cantine, constamment puni, et qui se sert d’une réelle intelligence pour discourir sur les chefs et les événements, excitant aussi ses camarades à l’indiscipline ; ces soldats-là sont la plaie de l’armée et leur nombre augmente tous les jours. Et jamais je ne les propose, ni ne les proposerai. Ainsi, Bouat, allez vous promener, vous et votre adjudant ; mais, auparavant, parlons de Résort, que j’ai proposé pour le grade de lieutenant de vaisseau. »

« Naturellement, continua le bon général Bouat, en lui donnant de vos nouvelles, je n’ai point informé Bosquet que vous-même m’aviez lancé cet artilleur dans les jambes. Allons, mon enfant, ne prenez pas un air désolé, vraiment la chose a fort peu d’importance. Avant de vous quitter, je puis vous annoncer que Bosquet vous autorise à passer quelque temps à bord du Henri IV. Décampez donc au plus vite.

— Merci, mille fois, mon général, vous êtes pour moi d’une bonté dont je suis bien touché ; mais une bataille est prochaine.

— Qu’y feriez-vous avec votre bras droit inerte et la fièvre qui revient tous les soirs ? »

C’était trop vrai, et Ferdinand se résigna. On put le transporter sur un cadre jusqu’à la plage de Kamiesh avec d’autres blessés expédiés à Constantinople ou à Scutari. Lui, alors, s’estima heureux de prendre seulement passage à bord d’une grande chaloupe, le 4 novembre, dans la soirée, veille de la bataille d’Inkermann.

Arrivé sur le pont du Henri IV, il ressentit la joie qu’éprouvent tous les marins, après une absence, en se retrouvant à bord, sur un beau vaisseau, dans ce milieu aimé dont beaucoup médisent et que tous regrettent dès qu’ils s’en éloignent.

« C’est bon, dit Ferdinand en descendant au carré, appuyé sur Langelle, c’est agréable de respirer cette excellente odeur de goudron, et encore avec vous.

— Oui, répondit l’autre, vous ne sauriez croire le plaisir que j’ai à vous sentir chez nous. Allons dîner, je vous présenterai à ces mes-