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L’ÉPAVE MYSTÉRIEUSE

le poste d’un des contre-amiraux qui débarqueront de l’escadre Hamelin.

— On parle trop à côté du lit no 7, cria un vieux chirurgien occupé non loin des deux amis.

— Je m’en vais, docteur, » répondit Langelle, et il ajouta au moment de quitter l’ambulance :

« Préparez-vous donc, Résort, à passer une semaine ou deux à bord. »

Le jour suivant, Ferdinand reçut la visite de Thomy, qu’il ne trouva point changé à son avantage. Assez beau garçon, cet adjudant, mais trop élégant, sanglé, pommadé, coiffé, et avec des yeux ne regardant jamais en face.

Après s’être légèrement enquis de « la famille », Thomy parla longuement de lui-même : « Débarqué de la Coquette, à Rio, il fut renvoyé après sa guérison en France et bientôt embarqué sur un vaisseau de l’escadre d’évolution. Il venait d’être libéré lorsque la guerre éclata. En ayant assez de la marine, il se réengagea dans un régiment d’artillerie partant pour la Crimée ; bientôt brigadier, il obtenait à l’Alma ses galons d’adjudant ; à Balaklava Ferdinand l’avait vu à l’œuvre.

« Car je puis vous appeler ainsi quand nous serons seuls, comme dans notre enfance ? continua le sous-officier.

— Certainement, » répondit l’enseigne, mais sans aucune chaleur, et très choqué par cette indiscrétion. Thomy en arriva bientôt au but intéressé de sa visite.

« Plusieurs adjudants, dit-il, ont été proposés pour le grade de sous-lieutenant ; je n’ai pas eu leur chance. À Balaklava, sans mon secours, notre lieutenant eût été foulé aux pieds des chevaux, écrasé peut-être, le voilà capitaine. Il m’a récompensé, je ne le nie pas, et proposé à notre colonel ; mais ensuite le général Bosquet a effacé mon nom sur la liste qui doit être soumise au commandant en chef. Je sais, Ferdinand, que vous êtes fort bien avec le général Bosquet, et je vous supplie de me recommander à lui ; faites cela en souvenir de notre enfance et au nom de votre mère. Les protections m’ont toujours manqué : je serais pourtant un officier tout aussi bon, sinon meilleur, que beaucoup. »

Ferdinand ne sut pas refuser ce qu’on lui demandait au nom de sa mère, quoiqu’il ne se sentît nullement charmé des manières et du ton de Thomy, et que de leur commun embarquement sur la Coquette il se souvînt d’une foule de choses très ennuyeuses. Des soupçons aussi revenaient à son esprit, oubliés milieu de tant d’autres événements. Mais, ces soupçons n’ayant, en somme, aucune base solide,