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ravageaient et incendiaient les environs ; auparavant, les bombes produisaient dans l’espace ce bruit étrange et jusqu’alors inconnu à Ferdinand.

Il comprenait à présent, très ému, un peu hésitant. En cas semblable et pour la première fois, il n’est pas un homme qui ne soit impressionné.

Surmontant son trouble et mettant pied à terre, afin de calmer le cheval épouvanté, Ferdinand chercha d’abord à s’orienter.

Alors il aperçut une maison épargnée du feu et il s’en approcha Ouvrant la porte d’entrée, il pénétra dans un élégant vestibule tendu de belles tapisseries avec des potiches remplies de plantes. Parvenu au premier étage, derrière une portière soulevée, il découvrit un salon coquettement meublé. Là un piano à queue, ici un chevalet supportant un portrait d’une belle jeune femme. Sur un meuble une poupée, sur une table un mouchoir garni de dentelle et des gants. Çà et là des vases pleins de fleurs encore fraîches. Les habitants de cette villa l’occupaient sûrement encore la veille. Et Ferdinand s’oublia un instant à rêver devant ce tableau… Mais, passant à raser la fenêtre, un obus rappella l’enseigne au sentiment de l’heure présente. Il ouvrit donc la fenêtre et il se rendit un compte exact de la situation.

Là-haut et aux alentours, la lutte devenait plus ardente, et sans doute, du sommet de la montagne, les Russes mitraillaient les environs de Bourliouk, parce qu’ils croyaient encore occupé par nos troupes ce village que celles-ci venaient d’abandonner.

À gauche, on apercevait le pont sur lequel passe la route de Simféropol à Eupatoria ; dans l’est se dressait le mamelon isolé dominant une plaine, où devaient se trouver le maréchal et son état-major.

Il fallait donc, arriver à tout prix jusqu’au mamelon, en tâchant de ne pas rencontrer un éclat d’obus ou quelque autre projectile également désagréable.

De nouveau dans les rues bouleversées, souriant et tout à fait de sang-froid, Ferdinand calculait ses bonnes et ses mauvaises chances. Les bombes passaient sur sa tête, mais toutes n’éclataient qu’à une certaine distance.

En contournant le village, Ferdinand tirait son cheval après lui, car l’animal affolé se dérobait à chaque instant. Les balles commencèrent à pleuvoir à l’entrée du pont ; dès cet endroit et dans la plaine, en file non interrompue, des cadavres jonchaient le sol pèle-mêle, zouaves, chasseurs, fantassins et chevaux. Peut-être quelques malheureux respiraient-ils encore ; pourtant les premiers que Ferdinand souleva étaient déjà froids et le devoir commandait de marcher.