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datée de Kiel, où mon père assure qu’il se porte le mieux du monde ; mais il ajoute que l’absence presque complète de navires à vapeur rendra cette campagne de la Baltique bien difficile à l’escadre commandée par l’amiral Parseval-Deschênes. Les Anglais l’ont compris, et là ils sont plus avancés que nous.

— Oui, répliqua M. de la Roncière, dans la Baltique les Anglais nous ont devancés et leur flotte représente le spécimen des progrès faits jusqu’à présent ; mais ici, Résort, nous prendrons l’avantage et nous le garderons. Avez-vous visité le Napoléon ? Quel admirable vaisseau ! D’un seul coup avec lui, la marine à vapeur vient de faire un pas de géant. Quant au siège de Cronstadt, il est impraticable. La flotte russe ne se hasardera pas à en sortir pour nous livrer bataille, au fond du port elle demeure absolument à l’abri, et l’attaque comme la prise de la ville me paraissent impossibles avec nos moyens actuels.

— Alors, commandant, que faisons-nous dans la Baltique ?

— Nous créons d’abord une diversion utile en occupant un corps d’armée russe. On m’écrit de Paris que le général Baraguey d’Hilliers, à la tête de dix mille hommes, va être jeté sur l’île d’Aland pour s’emparer du fort de Bomarsund de concert avec la flotte combinée. Je ne doute pas du succès de l’entreprise. Mais nous ne pourrons occuper Bomarsund, car nous avons là trop peu de troupes, et une fois pris dans les glaces, nos vaisseaux seraient impuissants à empêcher le ravitaillement de la place.

« Chassés par le froid, l’armée et le gros de la flotte reviendront en Angleterre et en France à la fin de l’automne[1].

— Croyez-vous, commandant, que la guerre sera finie alors.

— Finie, mon ami, non, bien certainement ; à peine commencée, car, suivant moi, on s’illusionne étrangement au sujet de la prise de Sébastopol et de la paix qui suivrait une ou plusieurs victoires. Le maréchal de Saint-Arnaud prend son désir pour la réalité lorsqu’il dit : « J’espère être en Crimée à la fin d’août et avoir terminé la campagne en octobre. »

  1. C’est ce qui arriva point pour point : le 16 août, Bomarsund capitula, et, pris entre ses troupes révoltées et notre armée victorieuse, le général russe Bodessa appela même à son aide une division française ; ensuite il se rendit à discrétion avec les vingt-quatre mille hommes composant la garnison. Le mois suivant, conduites par leurs chefs, les vice-amiraux Parseval-Deschênes et sir Charles Napier, les flottes alliées revinrent en France et en Angleterre, ramenant avec elles le corps expéditionnaire. Parseval-Deschênes et Baraguey d’Hilliers furent alors élevés aux dignités, l’un de grand amiral et l’autre de maréchal de France. Une division navale admirablement commandée par le contre-amiral Charles Pénaud resta dans la Baltique, où elle eut beaucoup à souffrir, les officiers et les hommes toujours en alerte et les bâtiments pris dans les glaces solides sur lesquelles pouvaient arriver des troupes ennemies.