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huit hommes, dont mille neuf cents cholériques, entrèrent aux ambulances.

Expédiés aux bouches du Danube, quatre navires à vapeur préservèrent cette division d’une ruine complète. Pendant les nombreux voyages que nécessita le terrible fléau, le moral des officiers comme celui des matelots ne faiblit pas un instant. De Kustengé le Pluton ramena à Varna le premier convoi de cholériques. Au moment où d’autres arrivaient à Mangalia pour être transportés sur le Calypso, un ouragan se déchaîna et trente et un malades expirèrent sur la plage, loin de tout secours.

À Varna et dans les environs, les ambulances se trouvèrent bien imparfaites. Rien au départ n’ayant été prévu en cas d’épidémie, tout manqua d’abord, cacolets, infirmiers, remèdes. Et, chose difficile à comprendre, les vivres aussi firent parfois défaut. Tel équipage partagea les siens avec tel bataillon à terre dont le commandant connaissait des officiers embarqués. En tout et pour tous, ce furent des jours terribles que traversèrent les survivants dans ce Varna, appelé un sépulcre par Saint-Arnaud.

À l’instant même où le général Espinasse évacuait le camp de Pallas, le général Canrobert arriva au centre du fléau, consolant ceux qui allaient mourir, se penchant sur leurs lits, relevant le courage des autres, sachant parler à tous cette langue qui vient du cœur, animé de ce patriotisme, de cette admirable abnégation qui, plus tard, en Crimée, devait servir d’exemple aux deux armées, car, pour moi, durant toute cette guerre, rien ne surpasse cette grande et simple figure d’un général en chef résignant le commandement suprême sans phrases, sans récriminations, continuant ensuite à se battre pour son pays, en sous-ordre.

Cependant le choléra gagna les escadres, ou il éclata plus foudroyant et plus terrible qu’à terre : la Ville de Paris perdit cent quarante hommes en quelques jours, le Montebello deux cents, un autre vaisseau quatre cents.

Le seul remède pour les bâtiments infestés, c’était de prendre la haute mer, pour chercher des parages où la brise fraîche balaye l’atmosphère.

L’amiral Hamelin donna donc l’ordre de partir à tous les navires à bord desquels le choléra avait été signalé. Cette mesure eut un plein succès, mais non pas immédiatement, ainsi qu’on peut le supposer.

Le matin même du départ, le signal suivant fut fait au vaisseau-amiral : « À bord du Colosse, entre les officiers morts et les malades, le service n’est plus assuré ; le commandant réclame deux lieutenants de vaisseau ou deux enseignes. »