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L’ÉPAVE MYSTÉRIEUSE

possède une boîte semblable) : tout cela est appelé, adjugé, avec des plaisanteries salées… Les vivants rient, quoique plusieurs aient pleuré ce camarade mort ; mais ce sont des enfants, ces rudes matelots, tout aux impressions présentes.

Ensuite le commissaire du bord dresse le procès-verbal, puis le produit de la vente, l’argent possédé par le mort, avec son arriéré de solde, s’il y en avait, son livret, ses papiers ; le tout sous scellé sera expédié en France à la première occasion, adressé au commissaire de l’inscription maritime de tel ou tel département, qui fera appeler les plus proches parents du défunt.

« Votre fils, votre mari, dira le commissaire, est décédé tel jour dans les mers de Chine, du Japon ou des Indes ; trop loin de toute terre pour être gardé à bord, il a reçu la sépulture des marins et voici la somme qui vous revient. »

Si les mères, les femmes, désirent apprendre quelques détails sur ce décès et sur les derniers instants de celui qui dort là-bas dans la grande mer, il leur faudra attendre, de longs mois peut-être, le retour d’un navire ou d’un officier. Jamais un officier ne refuse de se détourner de sa route pour aller voir la femme ou la mère d’un matelot mort à son bord, jamais il ne s’impatiente en écoutant une histoire diffuse à propos de cet homme dont il parle lui-même avec la note juste, toujours comprise, parce qu’elle vient du cœur.

On s’étonne sans doute de la cordialité qui entre Le Toullec et son second remplaçait l’animosité et l’aversion d’autrefois. Cette aversion, cette animosité s’étaient fondues chez Langelle en une minute, à la hauteur du cap Horn. Là il avait admiré et apprécié ce dont il ne se doutait nullement : la valeur, le coup d’œil, comme le courage et le sang-froid du vieil officier. Lorsque, la tempête apaisée, on put respirer, dormir et causer, le lieutenant se rendit chez Le Toullec, qui l’accueillit d’une mine renfrognée, déjà hérissé et sur la défensive. Après l’avoir salué :

« Commandant, lui dit Langelle, je viens vous témoigner toute mon estime, toute mon admiration, et aussi vous demander bien humblement pardon de mes gamineries et de mes sottises passées. Sans une ridicule vanité, j’eusse déjà fait cette demande depuis plusieurs jours. Quant à ces maudites plaisanteries sur le journal des officiers, je les ai biffées depuis longtemps, après Rio, ne le savez-vous pas ?

— Non, vraiment, Langelle ; mais, c’est… gentil ce que vous me contez là ; moi aussi, je vous ai méconnu et pris pour une petite-maîtresse ; mais, revenu de mon erreur après la tempête, j’espérais et attendais cette démarche ; donnez-moi la main, mon enfant, et vous