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L’ÉPAVE MYSTÉRIEUSE

tous deux se promenant avec le plus grand sérieux. Mademoiselle ne se sauvait jamais, toujours sur ses pattes de derrière, considérant les objets, ravie devant les boutiques. Auprès des étalages des fruitiers seulement, elle perdait son calme : là elle poussait de petits cris stridents, elle trépignait…, et puis, fouillant prestement dans les poches de son conducteur, elle jetait une pièce de monnaie au marchand, et se croyait alors le droit de faire main basse sur tous les fruits. Mais, par exemple, arrêtée trop vite à son goût, ou bien la poche fouillée se trouvait-elle vide, les dix doigts de Mademoiselle s’abattaient sur la tête du maître d’hôtel, et des poignées de cheveux restaient aux griffes de la guenon.

On n’est jamais parfait. D’ailleurs, ces petites scènes étaient assez rares, et vis-à-vis de Mademoiselle le commandant et son domestique possédaient des trésors d’indulgence : voilà probablement ce qui dégoûtait Stop et Pluton. Rien n’égalait l’air méprisant du premier, lorsque, se promenant aussi à terre derrière son maître, on rencontrait Mademoiselle. Le chien l’apercevait d’abord ; mais il ne voulait pas la voir, quoi qu’on tentât pour lui faire remarquer la guenon. Il se tordait le cou, marchait à reculons sans accorder un regard à son ennemie, qui, elle, faisait mille grimaces en poussant des éclats de rire moqueurs.

… Langelle entra chez le commandant après avoir frappé.

« Bonjour, commandant, vous allez bien, ce matin ? Avez-vous passé une bonne nuit ?

— Très bonne, je vous remercie ; cette relâche et ce repos m’ont été salutaires, comme à tout l’équipage de la Coquette. À Guayaquil, nous aurons encore du bon temps, c’est-à-dire vous et les jeunes gens, car moi j’en ai assez pris du plancher des vaches à Valparaiso. Je garderai donc le bord à Guayaquil, afin de vous laisser toute liberté dans cette jolie ville, jolie surtout pour la jeunesse. Ensuite, vous me parlerez de vos soirées et de toutes les choses charmantes que vous aurez vues.

— Eh bien, commandant, je vous dirai au contraire qu’à Guayaquil je descendrai à terre seulement dans l’après-midi, pour rentrer toujours à bord avant le dîner.

— Pourquoi cela, Langelle, puis-je le savoir ?

— Bien certainement ; une fois mouillés en rivière, je comptais même vous parler à ce sujet. Voyez-vous, commandant, à Valparaiso nous nous sommes réparés tout autant que la Coquette, et, pour ma part, j’avoue m’être amusé presque autant que nos jeunes aspirants, mais avec plus de calme, retrouvant là d’anciens amis et d’aimables connaissances. Cependant, à Guayaquil, il me faudra prêcher