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nœuvre à tenter : il faut fuir vent arrière, coûte que coûte, en abandonnant la cape.

L’ordre est donné à une douzaine de gabiers, qui s’élancent dans les haubans où le lieutenant les a déjà précédés.

« Établissez la misaine, crie le commandant, et disposez un grelin pour la soutenir. » Cette voile avait été larguée à l’instant même où le bâtiment s’engageait, afin de le relever avant tout en laissant porter.

La pluie, la grêle, les embruns fouettent et blessent ces hommes ; mais l’ordre s’exécute promptement. Un grelin (câble) est vite apporté, mis en croix de Saint-André : il soutiendra la misaine, sans quoi celle-ci serait emportée à la première rafale en causant d’irréparables avaries. Ce grelin va de la hune de misaine au gaillard d’avant.

La barre une fois mise au vent :

« Hissez la trinquette ! » crie de nouveau le commandant.

Le navire ne luttant plus s’en va fuyant devant la tempête qui souffle de l’ouest. Des lames hautes comme des montagnes l’accompagnent, mais elles n’embarquent plus. La Coquette et les lames suivant une même direction, au sud, toujours au sud, le courant les emmène dans une course folle, désordonnée… Le bateau monte parfois sur la crête de ces vagues, et, l’instant d’après, les eaux s’entr’ouvrent en formant une vallée profonde dans laquelle la corvette se précipite, la tête en avant, son gouvernail et la moitié de sa fausse quille en l’air… Ces montagnes liquides ne vont-elles pas se refermer sur ces quelques planches ?

Pendant vingt jours, officiers et matelots sont en alerte, aux pompes, à la manœuvre, rivalisant de zèle pour obéir aux ordres du commandant, qui, lui, ne se couche jamais. On essaye d’enrayer cette rapidité, de lofer, de remonter dans le vent au lieu de descendre avec l’ouragan ; la manœuvre réussit parfois et l’espérance renaît pendant quelques heures ; puis le bâtiment engage encore, et il faut de nouveau courir dans le sud, toujours plus vite… vers le terme de cette navigation vertigineuse qui sera… les terres du roi Louis-Philippe au pôle austral. Dès qu’on atteindra la banquise, les glaces enserreront le malheureux bateau, et pour l’équipage la mort deviendra une question de jours, peut-être de semaines, sans aucune chance de salut.

Le vingt et unième jour, et quel jour ! sans clarté, terne, gris ; sous une pluie glaciale l’équipage ne murmurait pas ; officiers et aspirants donnaient l’exemple et restaient impassibles ; mais les hommes étaient épuisés, comme hébétés ; l’hôpital sentait la fièvre et la