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L’ÉPAVE MYSTÉRIEUSE

il ne s’est pas coupé une seule fois en répondant. S’il ment, il ment bien adroitement.

— Vous a-t-il témoigné les égards qu’il vous doit ?

— Des égards, ce serait beaucoup dire ; enfin il a été convenable : mais c’est un vilain ingrat, que j’espère rencontrer rarement à l’avenir.

— Notre lieutenant voudrait bien s’en débarrasser. De pareils hommes font le désespoir des officiers, à cause du mauvais exemple qu’ils donnent à leurs camarades.

— Rien de nouveau, à bord ?

— Non, mon père, le commandant et son second restent toujours dans la même situation.

— Quelle pitié ! car Le Toullec et Langelle ont mille qualités.

Wap ! wap ! fit Stop en entendant prononcer le nom du lieutenant de la Coquette.

— Oui, mon Stop, je te comprends, dit Marine, tu n’oublies pas ton maître et tu le reverras bientôt. Vraiment, j’aurai peine à te quitter ; quel gentil compagnon tu m’as été ici !

Wap ! wap ! » continua Stop, dressé sur ses pattes de derrière et donnant un grand coup de langue sur les joues roses de son amie.

— Et puis, Stop, ajouta Ferdinand, tu vas revoir Mademoiselle.

Hou ! hou ! » hurla le lévrier, le poil hérissé et l’œil en feu.

Le surlendemain, non sans une vive émotion, M. de Résort et Marine dirent adieu à Ferdinand. La Coquette allait appareiller ; sa croisière durerait encore bien des mois, et le paquebot anglais où devaient prendre passage le commandant et sa fille adoptive était lui-même en partance.

Ce même jour, à la tombée de la nuit, aux abords de la jetée, des matelots de toutes les nations buvaient dans un cabaret, les cris, les rires, les querelles se succédaient là sans interruption. Une frégate anglaise venait d’arriver, un immense clipper chargeait pour les États-Unis, un grand baleinier avait le matin vendu sa cargaison d’huile, et tous les équipages réunis vidaient leur bourse sans compter.

À la nuit close, ceux qui le pouvaient s’en allèrent en titubant, d’autres restèrent endormis suret sous les bancs de la salle enfumée.

Thomy ne bougea pas : descendu le soir même en corvée dans la baleinière des officiers de la Coquette et très résolu à déserter, depuis une heure il discutait à ce sujet avec le capitaine d’un baleinier. Ce capitaine était Français et Malouin, c’est-à-dire natif de Saint-Malo, ville d’où sont partis les plus hardis marins et les plus redoutables corsaires que mentionnent nos annales maritimes.