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À BORD DE LA COQUETTE.

Pendant les premiers jours d’une campagne, ce quart, de minuit à quatre, semble fort pénible, surtout l’hiver et par le mauvais temps. Deux minutes avant l’heure, un matelot vous réveille, on le maudit de tout son cœur, quoique cela soit bête ; mais c’est ainsi… Le matelot sourit, parce qu’il s’attend à ce qu’on l’envoie promener. Une manière comme une autre de reprendre ses esprits.

Lorsqu’il y a des aspirants à bord d’un bâtiment, chaque officier a le sien.

L’enseigne désire causer.

« Eh bien, Résort, dit-il, que considérez-vous avec cette attention-là ? Je vous suis des yeux depuis un bon moment ; mais vous paraissez être loin en pensée… »

Ferdinand tressaille. Oui, son imagination s’en était allée au pays quitté pour si longtemps ; il revivait cette dernière journée auprès de ses parents, il croyait sentir encore la dernière étreinte et le dernier baiser de sa mère : pauvre chère maman, elle n’a pas répandu une larme, souriant même, Marine aussi. Que font-ils tous, ce soir ?…

« Vous avez raison, capitaine, j’étais loin et chez moi. » En parlant ainsi, le jeune homme sourit, quoiqu’il ait les yeux pleins de larmes, et l’officier l’en aime mieux pour ne pas renier son émotion.

Tout à coup, des cris perçants interrompent la causerie : on dirait ceux d’un enfant qu’on égorge. Des aboiements formidables prennent bientôt le dessus ; ces bruits étranges partent d’un endroit obscur, dans l’ombre étendue sous la grand’voile, où l’on devine un drame. À la suite des jeunes gens, des hommes se précipitent, les cris s’arrêtent subitement et une forme noire s’élance dans les enfléchures des haubans d’artimon. Tout s’explique : le chat du commandant et le lévrier du lieutenant, après s’être injuriés, en sont venus aux voies de fait. De sa place élevée, le matou gronde en sourdine. Le nez saignant et la patte décousue, Stop geint tristement. Ferdinand se fait apporter de l’eau fraîche, et il panse les plaies du pauvre chien. Par le fait, ces plaies sont peu profondes, et, cette fois, Stop en sera quitte à bon marché, car, il faut l’avouer à sa honte, c’était lui qui avait commencé !

« Vous aimez les chiens, Résort, je le devine à la manière dont vous agissez avec cette stupide bête.

— Pas du tout stupide, je vous assure. Oui, j’aime les chiens et tous les animaux en général.

— Non, pas moi, on les a toujours dans les jambes, à bord surtout, et, si cela continue entre le chien et le chat, ce sera gentil ! Et puis, croyez-vous que cette inimitié ajoutera beaucoup à l’intimité